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partielles, des expéditions spéciales tour à tour abandonnées et reprises; depuis que Tiflis est une ville russe, les tsars sont obligés de faire le blocus du Caucase. Le premier général qui ait organisé cette guerre obstinément poursuivie depuis un demi-siècle a laissé de nobles souvenirs.. Le général Zizianoff, gouverneur de la Géorgie et du Caucase, était un homme aussi intelligent qu’intrépide. Au lieu de déposséder la dynastie régnante, il laissa à ces faibles souverains une ombre d’autorité, et accoutuma peu à peu les Géorgiens à changer de maîtres, sans blesser chez eux le sentiment national. Zizianoff, assassiné, en 1806, par des émissaires de la Perse, est aujourd’hui encore, de Koutaïs à Tiflis, l’objet d’une vénération profonde. Le plus habile de ses successeurs est incontestablement le célèbre général Yermoloff. Quand on interroge un Russe sur les illustrations militaires de son pays, le nom de Yermoloff est le premier. D’autres ont commandé des expéditions plus importantes et gagné plus de batailles; qu’importe ? Les plus heureux faits d’armes sont loin de valoir l’action continue d’une grande âme; le sentiment public l’a bien compris. Par la dignité de toute sa personne, par la juste idée qu’il inspirait de son habileté et de sa puissance, Yermoloff a toujours paru supérieur aux plus brillans capitaines de la Russie. C’était surtout l’homme qui convenait à la guerre du Caucase. Conquérant et civilisateur, il exerçait sur les Tcherkesses une irrésistible séduction. Sa douceur soutenue par la force, sa générosité chevaleresque, son ardeur vraiment humaine à transformer les vaincus, avaient obtenu de merveilleux résultats. Pendant tout le temps qu’il a gouverné le Caucase, les Tcherkesses ont respecté les Russes. Une insurrection ayant éclaté dans le Daghestan, sous la conduite d’Amulad-Beg, il la dompta presque aussitôt; Amulad-Beg fut pris et rendu à la liberté. C’est Yermoloff qui a établi dans la Géorgie des colonies allemandes, afin d’initier les Orientaux aux secrets de la culture européenne. Les chefs du Daghestan étaient en relations avec lui; ils venaient le voir dans sa résidence de Tiflis, et ces hardis montagnards, qui se jetaient sans pâlir au-devant des canons russes, tremblaient devant Yermoloff, comme les plus fiers animaux du désert tremblent devant le regard du lion. Cette majesté imposante qu’il possédait naturellement lui permettait de relâcher sans péril les liens de l’étiquette; Yermoloff avait pour les simples soldats ces familiarités cordiales qui semblent le secret de nos officiers. Aucun général n’a su comme lui enthousiasmer le soldat russe et apprivoiser les Caucasiens.

L’administration du général Yermoloff est la période brillante de l’histoire de la Russie dans ses rapports avec les peuples du Caucase. Mis subitement à la retraite en 1826 par une de ces disgrâces si