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le cynique langage que, de révolution en révolution, ont constamment tenu les survivans de l’école de Danton. — École vraiment féconde, qui paraît décidée à ne périr jamais.

Pour disputer la place aux débris du parti terroriste, que pouvaient faire les débris du parti de Danton? Les classes inférieures, les faubourgs, les sociétés populaires, tout le vieux flot révolutionnaire en un mot appartenaient de droit aux premiers. Force était donc de chercher ailleurs lui appui.

C’est alors qu’apparaît sur la scène un personnage tout nouveau, l’opinion. Jusque-là ce qu’on avait appelé l’opinion, c’étaient les hurlemens de la démagogie; les voix libres et raisonnables n’étaient comptées absolument pour rien. Il est vrai qu’elles étaient rares au début de la révolution. Dans ces premiers momens d’enthousiasme universel, les gens sensés, comme les autres, avaient perdu la tête; puis, lorsque la raison était revenue, la peur leur avait clos la bouche. Mais le coup de thermidor venait de les affranchir. Les terroristes des comités réduits à cette alternative, ou de sacrifier Robespierre, ou de se sacrifier eux-mêmes, avaient, en le renversant, renversé la terreur, c’est-à-dire supprimé la principale cause de l’effroi général et rendu à chacun la force de penser, d’espérer, de parler. De là une explosion irrésistible de vœux, de plaintes et de désirs; de là une force inconnue, une puissance toute nouvelle, justement appelée cette fois l’opinion.

Eh bien ! c’est à cette nouveauté mystérieuse que les adversaires des comités, sous peine de succomber, étaient forcés de demander secours. Ils ne pouvaient opposer aux rancunes, aux fureurs de la démagogie que l’indignation des honnêtes gens; mais cette arme avait ses dangers. Les journées de septembre, oubliées seulement de ceux qui les avaient faites, étaient encore présentes à tous les souvenirs. Les amis, les parens des victimes savaient à qui attribuer leurs douleurs. S’ils étaient encouragés à la vengeance, où s’arrêteraient- ils ? La réaction était donc à la fois un moyen de salut et une chance de ruine. Il fallait la provoquer pour achever de vaincre Robespierre dans son parti posthume, il fallait la comprimer pour n’être pas vaincus par elle. C’étaient deux nécessités égales de surexciter son énergie et de combattre ses exigences.

Ces difficultés et ces complications n’apparurent pas d’abord. La majorité de la convention, c’est-à-dire la plaine comme auparavant, mais la plaine affranchie et liguée avec cette petite fraction de montagnards dantonistes désignés depuis ce jour sous le nom de thermidoriens, la majorité, aux premières heures de la victoire, s’imagina que rien ne serait changé, que le régime révolutionnaire, en passant dans d’autres mains, dans des mains moins odieuses, n’en