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devait être prise pour la force mise au service de l’arbitraire! Et quel n’était pas le mérite des officiers qui, dans ce cumul redoutable de fonctions, savaient se défendre de tout arbitraire et de tout mouvement précipité! Ici encore le maréchal tentait la nature humaine et voulait la forcer. Il s’étonnait qu’on réclamât, il s’en irritait même. Il y voyait un esprit d’hostilité contre l’armée, esprit qui n’a jamais existé, je pense, et en Algérie moins qu’ailleurs. A Médéa, il était tout rempli de ces idées. Au dessert, il porta un toast à l’armée. Les développemens qu’il lui donna étaient gros de taquineries et presque de colères. Il parla des services de l’armée comme si quelqu’un les avait contestés. Il vanta sa discipline, sa résignation, son courage, vus avec ingratitude par les uns, avec indifférence par les autres. Il jeta çà et là des rapprochemens malveillans, des allusions aux colons, aux chambres, au gouvernement. Personne ne fut épargné. Avec beaucoup de tact et de finesse, M. de T... sut dans sa réponse éviter tout ce qui eût pu donner à un simple toast le caractère d’une polémique : il reprit l’éloge de l’armée, mais il sépara ce que le maréchal avait confondu, écarta les allusions, et après avoir jeté dans la péroraison quelques traits heureux, qui enlevèrent le maréchal lui-même, il finit en proposant un toast à l’union du civil et de l’armée. Le maréchal, très froncé au commencement de ce petit discours, s’était déridé peu à peu en l’écoutant, et après le toast porté, il dit en s’y associant de bon cœur : « S’il en est ainsi, je n’ai plus rien à dire. » Ces mots révélaient tout, car où le maréchal avait-il pris qu’il n’en fût pas ainsi ?


II.

A partir de Médéa, nous disions adieu aux régions fréquentées, au rayon d’Alger. Plus d’étapes européennes, plus de camps, plus de villages, plus de villes pour la couchée, si ce n’est à des distances que l’on ne peut franchir en un jour. Nous allions cette fois coucher sous la tente, en pleine broussaille; aussi, quoique notre bivouac fût marqué chez le fidèle Bou-Alem, bach-agha du Djendel, deux compagnies d’infanterie furent commandées pour le service du camp. Le maréchal se donna et procura à ses hôtes le plaisir d’en passer la revue. Ces deux magnifiques compagnies de grenadiers et de voltigeurs étaient rayonnantes et ne paraissaient nullement préoccupées de la petite journée de quinze lieues qu’elles allaient avoir à faire par un affreux pays de montagnes. Après la revue, nous allâmes visiter les jardins créés par nos soldats soit pour leur approvisionnement de légumes, soit pour l’agrément des officiers. Dans toutes les garnisons de l’intérieur, l’armée s’est donné de ces jardins, qui souvent sont l’unique ornement de la ville. Il est vrai de dire qu’en Afrique, partout où l’armée a posé le pied, elle y a laissé un bienfait. Ce sont ces mérites très réels qui fournissaient au maréchal un argument pour sa théorie; aussi ne laissait-il échapper aucune occasion de montrer toutes ces créations militaires en témoignage de l’aptitude universelle de l’armée. Nous visitâmes donc aussi la caserne de Médéa et d’autres constructions élevées par les soldats. Le temps nous manqua pour aller visiter un vieil aqueduc, reste d’une construction romaine et qui s’aperçoit de très