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permettre à Voltaire de bafouer aux yeux de l’Europe Maupertuis, le président de son académie; mais faire brûler par la main du bourreau le pamphlet où Voltaire châtiait justement les opinions ridicules et parfois odieuses de Maupertuis était une vengeance indigne de Frédéric. Après tout, avouons que le premier tort fut du côté de Voltaire : ce fut, après s’être refusé pendant quinze ans aux sollicitations de Frédéric, qui l’appelait à Berlin, d’avoir cédé enfin, d’avoir cru possible une liaison si disproportionnée selon les idées du monde. D’Alembert, Rousseau, Diderot, furent plus sages à cet égard, et se dérobèrent à ces hautes protections dont ils voyaient tous les dangers.

Ce qui du reste pouvait faire illusion à Voltaire, ce n’étaient pas seulement les protestations d’amitié que lui avait prodiguées Frédéric, et qui paraissent en effet avoir été sincères, c’était aussi le ton d’égalité, de déférence même, que le roi prenait avec lui dans ses lettres; c’était aussi la tolérance parfaite avec laquelle il lui laissa toujours combattre ses opinions sans jamais paraître se souvenir de la différence de leurs positions. Cette tolérance, il faut le dire à l’honneur de Frédéric, ne l’abandonna jamais : il ne la porte pas seulement dans les discussions spéculatives, où la modération est encore assez rare, même entre des particuliers; mais il écoute sans se fâcher des avis parfois un peu vifs. Ainsi en 1749, quand ils n’en sont encore qu’aux douceurs, le roi, engagé dans une guerre sanglante qu’il avait provoquée, envoie au poète une ode contre la guerre : « Je croirais volontiers, lui écrit Voltaire, que cette ode est de quelque pauvre citoyen, bon poète d’ailleurs, lassé de payer le dixième et le dixième du dixième, et de voir ravager la terre pour les querelles des rois. Point du tout : Elle est du roi qui a commencé la noise; elle est de celui qui a gagné, les armes à la main, une province et cinq batailles. Sire, votre majesté fait de beaux vers, mais elle se moque du monde. » À cette sortie, Frédéric se contente de répondre : « Ne vous étonnez point de mon Ode sur la Guerre; ce sont, je vous assure, mes sentimens. Distinguez l’homme d’état du philosophe, et sachez qu’on peut faire la guerre par raison, qu’on peut être