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nière forme, Beaumarchais a consommé en quelque sorte l’existence de ce type. Après Figaro, il n’y a plus et il ne peut plus y avoir de valet de comédie.

Contrairement à l’opinion de Diderot et à celle qu’exprime le savant M. Naudet dans la préface de sa traduction de Plaute, je crois qu’on pourrait prouver que ce personnage du valet de comédie, quoique né de l’esclave antique, n’est pas une importation purement artificielle, restée sans aucun rapport avec nos usages et n’ayant jamais eu rien de réel. De l’esclave antique au valet de comédie tel que l’a compris Beaumarchais, on pourrait noter toute une série de transformations où l’on verrait ce type s’adapter plus ou moins aux sociétés dans lesquelles il se produit. Il faudrait prendre l’esclave de la comédie antique dans les ouvrages de Plaute surtout, où cette figure est particulièrement caractérisée, puis le comparer avec l’esclave de cette comédie du IVe siècle retrouvée par M. Magnin et intitulée Querolus, dans laquelle se rencontre une figure d’esclave des plus curieuses comme expression de la chute imminente de l’esclavage. On étudierait ensuite cette même figure d’esclave, quand elle reparaît au XVe siècle transformée en valet, dans le premier essai dramatique plus ou moins calqué sur la comédie ancienne, dans la Célestine. On examinerait les figures de valets qui se rencontrent dans la comédie du XVIe siècle, dans les pièces de Larivey par exemple, où ces figures sont également imitées de l’antique, mais considérablement modifiées. On suivrait ce type dans les comédies d’intrigue de Molière ; on le verrait s’altérer de plus en plus dans les comédies de Regnard, où le valet devient exigeant, insolent, jusqu’à traiter son maître de voleur quand ce dernier ne lui paie point ses gages, et surtout dans celle de Lesage. Ici Crispin rival de son maître est réellement sur le point de le supplanter auprès de sa fiancée, et, lorsque sa fraude est découverte, au lieu de recevoir, suivant l’usage immémorial, des coups de bâton, il entend le beau père lui dire, ainsi qu’à son camarade La Branche : « Vous avez de l’esprit, mais il en faut faire un meilleur usage, et pour vous rendre honnêtes gens, je veux vous mettre tous deux dans les affaires. » Le valet fantastique de Beaumarchais représente précisément ce valet qui va passer maître et entrer dans les affaires. En suivant ainsi à travers les siècles ce type de l’esclave du théâtre antique transformé en valet de comédie, on pourrait, je crois, démontrer non-seulement que cette figure qui représente la protestation éternelle de l’intelligence contre la force ou le privilège a toujours offert quelque rapport avec le milieu social au sein duquel elle apparaissait, mais encore que ses altérations successives répondent assez bien au mouvement qui a fait passer les sociétés de l’esclavage au servage, du servage à la domesticité héréditaire et