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prêtait cette naïveté et cette fraîcheur au rôle un peu vif de Chérubin. Molé jouait le rôle du comte Almaviva avec l’élégance et la noblesse qui le distinguaient. Dazincourt donnait au rôle de Figaro tout son esprit en le dégageant de toute vulgarité. Le vieux Préville, qui ne plaisait pas moins dans celui de Brid’oison, l’avait passé au bout de quelques jours à Dugazon, qui le rendait avec plus de force et autant d’intelligence. Desessarts, avec sa rondeur, donnait du relief au rôle ici très sacrifié de Bartholo ; les rôles secondaires de Basile et d’Antonio étaient également bien joués par Vanhove et Bellemont ; enfin, par un caprice original, un tragédien assez célèbre, Larive, ne voulant pas que la tragédie fût représentée dans la pièce seulement par Mlle Sainval, avait demandé le petit bout de rôle de Grippe-Soleil.

Cette vogue immense d’une comédie aristophanesque, en inquiétant quelques esprits ou en choquant quelques consciences sincèrement timorées, réveillait naturellement aussi la foule des envieux, qui ne manque jamais, surtout quand le triomphateur aime à afficher son triomphe, et l’on connaît le faible de Beaumarchais. C’était donc au milieu d’un feu croisé de satires en prose et en vers que l’auteur du Mariage de Figaro poursuivait sa carrière, versant sur ses blasphémateurs, non pas des torrens de lumière, mais des torrens de gaieté et de quolibets également en prose et en vers[1].

Non contens de le chansonner, ses ennemis lui tendaient des embûches. S’il écrivait une lettre mordante à un de ses amis, le président Dupaty, qui lui demandait une loge grillée pour des dames scrupuleuses qui voulaient bien voir sa pièce, mais qui ne voulaient pas être vues, on faisait circuler la lettre en disant qu’il avait eu l’audace de l’adresser à un duc et pair, et il était obligé d’écrire au ministre de la maison du roi pour rectifier le fait. En pleine Académie, l’austère Suard[2], recevant comme directeur M. de Montesquiou,

  1. On a souvent cité quelques-unes des pièces satiriques dirigées contre le Mariage de Figaro. On connaît moins les ripostes de Beaumarchais. Voici, par exemple, un quatrain inédit de lui en réponse à une épigramme assez plate du poète Piis : il me semble que le quatrain de Beaumarchais n’est pas dépourvu de sel :

    Ton Pégase, Piis, est tombé dans l’ornière,
    De son temple le Goût te ferme l’ostium.
    Au bon petit Jésus je fais cette prière,
    Auge Piis ingenium.

  2. Nous n’avons point à attaquer Suard, mais comme il a attaqué Beaumarchais avec un véritable acharnement, et comme nous allons voir tout à l’heure que c’est lui qui a occasionné son emprisonnement à Saint-Lazare, on ne sera pas étonné si nous nous croyons obligé de constater tout d’abord ici qu’il y a dans les lettres de Diderot à Mlle Voland des détails sur Suard qui, s’ils sont exacts, feraient peu d’honneur à son austérité, car ils tendraient à prouver qu’il était de ceux qui sont d’autant plus sévères en théorie