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une de ces subtilités qui entrent parfois dans l’esprit si distingué du monarque prussien, Frédéric-Guillaume n’allait point à Ollmütz comme souverain, mais il allait peu après à Varsovie comme beau-frère du tsar, qui l’invitait à ce titre. Sous une forme ou sous l’autre, était-ce un moyen de compromettre la politique prussienne ? Toujours est-il que le roi de Prusse ne s’engageait en rien. La preuve en est dans le voyage fait par l’empereur Nicolas à Potsdam, pour chercher à agir sur l’esprit de M. de Manteuffel; mais là encore le tsar rencontrait une résistance invincible. M. de Manteuffel s’en tenait à la politique de neutralité, et en même temps il nourrissait, dit-on, la pensée de provoquer une nouvelle conférence diplomatique en Allemagne. Ce que nous voulons noter surtout, c’est cette pensée universelle de nouveaux efforts pour empêcher la paix d’être entamée, si l’on nous permet ce terme. Quoi qu’il en soit, les gouvernemens, il nous semble, ne sauraient se faire illusion. S’ils sont décidés à n’intervenir à aucun moment d’une manière efficace entre la Russie et la Turquie, ils n’ont certes rien à faire de plus qu’ils n’ont fait. Si l’intégrité de l’empire ottoman n’est point un vain mot à leurs yeux, il faut qu’ils sachent que leur intervention est plus difficile aujourd’hui qu’hier, qu’elle sera plus difficile demain qu’aujourd’hui, si elle n’est point impossible, sans mettre en péril la paix du continent, — tandis qu’une action commune dans un moment opportun et décisif eût suffi sans nul doute pour tout sauver et tout empêcher.

Mais n’admire-t-on pas ce qu’il y a parfois d’ironie secrète dans les événemens ? Tandis que ces faits se déroulent et agitent l’Europe, tandis qu’en Angleterre même il se tient une foule de meetings qui ne sont pas tous fort sérieux, les uns pour les Turcs, les autres contre les Turcs, voici un meeting beaucoup moins sérieux encore qui vient dire son mot sur les affaires d’Orient : c’est le congrès de la paix. Hélas! combien en faudrait-il de ce genre pour qu’on finît par ne se plus entendre dans le monde ? Le congrès de la paix de cette année s’est tenu à Edimbourg, et M. Cobden y a figuré avec éclat. M. Cobden est un homme d’esprit gâté par une campagne heureuse contre les lois des céréales; maintenant c’est contre le bon sens qu’il s’escrime, et il y réussit parfois au-delà de ses désirs. Il veut établir la paix universelle, et il commence par demander que l’Angleterre intervienne en faveur de la Russie, si elle intervient dans un sens quelconque. Il faut tout dire cependant : M. Cobden n’est point sans voir juste quand il dit que rien de ce qui arrive n’eût été possible sans les défiances qui existent entre les gouvernemens les plus intéressés à agir en commun, de même qu’il a bien quelque droit de rappeler ses paris, tout humoristiques qu’ils fussent, engagés l’an passé contre ceux qui cherchaient sérieusement à précautionner l’Angleterre contre une descente de la France. Malheureusement M. Cobden a souvent une manière de servir les bonnes causes qui ne laisse point de les compromettre, ne fût-ce que par la compagnie dans laquelle il les place.

Ce ne serait point certainement se hasarder beaucoup, de supposer que les agitations soulevées par la crise extérieure des affaires d’Orient ont pu aller remuer plus d’une espérance dans les profondeurs des partis révolutionnaires. Toute difficulté qui s’élève dans la vie d’un pays ou de l’Europe en général semble une chance pour ces partis et une issue naturelle par où il leur sera