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la justifièrent en l’augmentant. Il obtint de continuer ses cours de grec sous l’habile direction du père Emmanuel da Ponte, jésuite espagnol réfugié à Bologne, et cette langue, au milieu de la variété d’idiomes et de dialectes qu’il posséda plus tard, resta toujours l’objet de sa prédilection. Le père Olivieri, dominicain, qui, à la fin du siècle dernier, était compté comme un des savans de Bologne, l’initia à la connaissance de l’hébreu. Mezzofanti y joignit celle de l’arabe et des langues vivantes les plus répandues. Un religieux de Blois, que les malheurs de notre pays avaient forcé de chercher un asile en Italie, fut son maître de français. Notre langue lui devint bientôt familière, et c’est une de celles qu’il parlait le plus volontiers et le mieux. La même supériorité qu’il apportait dans ses travaux de linguiste, il la manifestait dans ses études théologiques. Un vieil archi-prêtre de Porreta, dans le diocèse de Bologne, D. Gioachimo Monti, son ancien condisciple, se plaisait à raconter l’impression que faisaient sur les élèves du séminaire ces épreuves théologiques soutenues avec tant d’éclat par son compatriote. Le jeune et pieux savant fut promu au sacerdoce le 23 septembre 1797 par Mgr Giovanetti, alors archevêque de Bologne. Cette même année, le 15 décembre, il commença à professer un cours élémentaire d’arabe à l’université de cette ville : il était alors dans sa vingt-quatrième année. C’est la première période de son enseignement public, elle fut de courte durée. Dès sa première entrée dans les ordres sacrés, l’archevêque lui avait conféré deux bénéfices simples, dont la collation était dans ses attributions. Ces deux bénéfices réunis produisaient à peine 200 fr. de revenu. Mezzofanti, né sans fortune, trouva dans le père Antoine Magnoni un généreux appui. Ce religieux, ami de sa famille et qui avait deviné toute la valeur du jeune séminariste, lui constitua, par acte passé devant le notaire de l’archevêché, une rente annuelle à peu près équivalente au revenu de ces deux bénéfices. C’est avec ces faibles moyens pécuniaires qu’il put se soutenir jusqu’à ce qu’il eût reçu le sacerdoce. Dans la suite, il les accrut par les émolumens attachés à son enseignement, soit public soit privé.

On était à l’époque des guerres d’Italie. Les mémorables victoires de Napoléon Bonaparte dans la péninsule avaient rendu plus que jamais le nom français redoutable et glorieux. Conquise plusieurs fois, Bologne avait été successivement au pouvoir des Français et des Autrichiens, et ses hôpitaux, où affluaient les soldats étrangers blessés sur le champ de bataille, devinrent un théâtre où se déploya le zèle du jeune lévite, et où sa vocation de linguiste devint un apostolat. Rien de plus touchant que cette page de la vie de Mezzofanti sous la plume de son biographe. — Ces pauvres soldats, dit-il, qui ne savaient pas plus raconter leurs douleurs physiques au médecin chargé de les soulager que découvrir les plaies de leur âme au prêtre qui devait les guérir, et qui venaient, loin de leur patrie, mourir sans pouvoir déposer dans un cœur ami leur dernière pensée, devaient profondément attrister l’âme compatissante de Mezzofanti. Son intelligence et son cœur s’enflammèrent au chevet du lit de ces guerriers frappes dans les combats. La charité sacerdotale fit le reste; elle se montra ce qu’elle est toujours, douce, résignée, persévérante. L’ardeur qu’il mettait à remplir ses devoirs, la sollicitude qu’il témoignait à tous et sa parole entraînante lui gagnèrent bien vite la confiance des soldats et de leurs chefs. Ils se sentaient disposés à aimer celui qui leur rappelait si