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vous avez deux patois bourguignons; lequel parlez-vous ? — Je connais le patois de la Basse-Bourgogne, et le cardinal se mit à lui parler le bas-bourguignon avec une facilité capable de rendre jaloux tous les vignerons de Nuits et de Beaune. »

Une autre fois un prêtre, originaire du midi de la France, lui adressait ses hommages dans un de nos dialectes romans. « Monsieur l’abbé, lui dit Mezzofanti, vous n’êtes point de Toulouse, encore moins Provençal; mais vous n’êtes pas né bien loin de cette ville. » Effectivement cet ecclésiastique était de Montauban, et il s’adressait au cardinal dans le plus pur dialecte montalbanais. On peut concevoir tout ce qu’il fallait de sagacité pour distinguer les variétés de la langue romane, qui sont quelquefois peu tranchées, et qui devaient, ce semble, être à peine sensibles pour un Italien qui n’avait jamais quitté son pays.

Lorsque la révolution romaine vint apporter le trouble dans cette vie d’études et de calme qu’avait menée jusqu’alors le cardinal, comme sujet fidèle, comme prince de l’église, il s’associa à toutes les douleurs du pontife qui était allé demander à l’exil l’indépendance de son autorité et la sûreté de sa personne. Resté à Rome, témoin forcé des excès des révolutionnaires, de leurs attentats contre tout ce qui était pour lui l’objet d’un culte et d’un pieux dévouement, il sentit son âme se briser. Ses forces, épuisées par de longues veilles et vaincues par la douleur, allaient chaque jour s’affaiblissant. L’année 1849 s’ouvrait sous les plus tristes auspices; le cardinal ne sortait plus de ses appartemens. Au mois de février, une pleurésie aiguë se déclara; son état inspirait les plus vives inquiétudes. Des soins éclairés, que secondait avec une tendresse toute filiale sa nièce, Mlle Minarelli, conjurèrent d’abord le danger; mais le mal ne tarda pas à empirer, et il rendit le dernier soupir dans la nuit du i a mars.

Le malheur des temps ne permit pas à sa famille et au clergé de la paroisse des Saints-Apôtres, à laquelle il appartenait, de rendre à l’illustre défunt les honneurs que comportait son rang. Son corps ne fut point exposé sur le lit funèbre, dressé dans la salle du trône des palais cardinalices, où on élève des autels pour la célébration des saints mystères. Dans la soirée du second jour qui suivit sa mort, ses restes mortels furent dirigés, au milieu d’un cortège mezzo privato, vers l’église de Saint-Onuphre, dont il était titulaire. La voiture qui portait le corps était précédée et suivie de domestiques à sa livrée, une torche à la main. Trois voitures de deuil suivaient, occupées par des chapelains, des camériers, le doyen et ses serviteurs, cortège bien modeste, et à Rome plus que partout ailleurs. Les religieux hiéronymites de Saint-Onuphre reçurent le précieux dépôt destiné à rester sous leur garde. Ils l’ont placé à côté des ossemens du Tasse. Le poète, après sa sortie des prisons de Ferrare, en 1595, était allé chercher un dernier abri et une suprême consolation à ses malheurs dans ce couvent, dont la position sur le mont Janicule est une des plus pittoresques de Rome. Le grand linguiste et le chantre immortel de la Jérusalem délivrée y reposent aujourd’hui réunis dans la mort.

Cette science des langues que posséda Mezzofanti à un degré unique, et qui semble l’effet d’une révélation surnaturelle, doit nous faire vivement regretter de ne posséder aujourd’hui aucun ouvrage de lui sur ce sujet. Quelle