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guerrier dont le regard étincelant respire la passion du danger, tout ce qui excite notre admiration nous offre l’alliance de l’ordre et du mouvement. L’unité dans la variété. Supprimez l’unité, l’admiration s’évanouit et fait place à l’étonnement ; au lieu d’un objet vraiment beau, nous n’avons plus devant nous qu’un objet bizarre, pareil à ceux qu’enfante le caprice. Supprimez La variété, l’admiration n’est pas moins promptement réduite à néant ; la vie a disparu. L’unité sans la variété, c’est-à-dire l’ordre sans le mouvement, se réduit à la pure symétrie, et ne produit jamais en nous une émotion profonde.

Mais si la beauté du monde extérieur est la seule qui tombe sous la prise de nos sens, ce n’est pourtant pas la seule qui excite en nous le sentiment de l’admiration. Une série d’idées enchaînées par une raison puissante, exprimées dans une langue que l’imagination colore, n’est pas moins belle assurément qu’un champ dont les épis dorés frémissent au souffle de la brise. La peinture des passions humaines n’est pas moins émouvante que les plus grands spectacles de la nature. Homère et Newton nous offrent dans leurs œuvres immortelles un ordre de beauté tout aussi réel, tout aussi incontestable que la beauté des objets visibles. Priam aux pieds d’Achille redemandant le corps d’Hector n’éveille pas en nous une admiration moins vive que le paysage le plus sublime. Quel nom donner à cet ordre de beauté ? C’est la beauté intellectuelle. Ici encore se vérifie la présence des deux caractères signalés dans la beauté physique : la réunion de l’ordre et du mouvement Prenez à votre choix le système du monde exposé par le géomètre anglais, ou la colère d’Achille racontée par le poète grec ; vous trouverez, d’une part, l’unité de principe et la variété des conséquences, l’attraction expliquant le mouvement des corps célestes, et, d’autre part, l’unité d’action et la variété des épisodes. Ainsi la beauté intellectuelle est régie par les mêmes lois que La beauté physique. L’ordre et le mouvement que nous admirons dans la fleur à demi épanouie se retrouvent dans l’Iliade.

N’y a-t-il pas un ordre de beauté supérieur à la beauté intellectuelle, comme la beauté intellectuelle est supérieure elle-même à la beauté physique ? Une grande action, un dévouement héroïque n’excitent-ils pas en nous une admiration encore plus vive et plus profonde que les plus belles œuvres de l’intelligence ? Léonidas aux Thermopyles, Socrate buvant la ciguë, nous émeuvent-ils moins puissamment que l’Œdipe roi ou Hamlet ? Qui oserait le dire ? Or Léonidas se dévouant pour le salut de sa patrie, Socrate donnant sa vie pour la vérité, représentent l’héroïsme du caractère. C’est donc un ordre de beauté qui n’a rien de commun avec le précédent ; c’est la beauté morale. Et comme Dieu représente l’intelligence et la justice souveraines, c’est en Dieu même qu’il faut chercher l’idéal de la