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des fruits, elle étendit notablement les moyens de retrouver les poisons et de constater les crimes. En effet, tant qu’on ne sait pas que plusieurs substances toxiques vont se loger dans l’intimité de certains tissus, il peut arriver, même au chimiste exercé et pourvu de toutes les ressources de l’analyse, de laisser échapper de véritables cas d’empoisonnement. Le malheureux qui a succombé est déjà dans le cimetière, les véhicules où le poison a été administré ont disparu, même les intestins et l’estomac n’en contiennent plus de traces, et pourtant il est encore possible de produire des témoins accusateurs capables de confondre le coupable qui se croit le plus caché. Indépendamment du véhicule qui portait le poison, par-delà les membranes qui l’ont reçu, on sait qu’il est déposé en des réceptacles connus d’avance, prêt à reparaître dès que les affinités chimiques, habilement utilisées, l’appelleront à la lumière.

Ceci est véritablement un bon thème pour montrer sans conteste combien la médecine des modernes l’emporte sur celle des anciens : non pas que je prétende en tirer vanité au profit des uns et aux dépens des autres, car personne plus que moi n’est persuadé que nous ne sommes quelque chose que grâce au labeur de nos aïeux, et que les générations ensevelies ont droit à un culte reconnaissant de notre part ; mais c’est afin de faire voir comment les choses, par le progrès de la civilisation, se développent et s’améliorent ; c’est afin de signaler sur ce terrain particulier la loi de l’évolution générale et de modifier le point de vue auquel on aperçoit toujours l’antiquité. Elle, elle est jeune ; nous, nous sommes anciens, destinés à devenir jeunes à notre tour pour nos arrière-descendans, qui nous devront une part de leurs progrès et de leur civilisation. Si on avait proposé au plus habile médecin de la Grèce ou de Rome de décider en un cas donné s’il y avait eu ou non empoisonnement, il n’aurait pu répondre que de la façon la plus dubitative, n’ayant guère, comme le vulgaire, que des preuves morales à sa disposition. Nulle ouverture des corps, nulle connaissance des lésions anatomiques que produisent les maladies, nulle étude suffisante des symptômes et du diagnostic, nulle appréciation chimique des substances vénéneuses. Or c’est de tout cela que se compose l’histoire d’un empoisonnement. Comment donc faire pour le déterminer, si l’on manque de ces connaissances indispensables ? Un empoisonnement était pour nos prédécesseurs un problème insoluble ; il a fallu résoudre une foule de problèmes préalables avant de l’aborder ; la puissance intellectuelle de l’homme collectif croit comme sa puissance, matérielle, et ce qui à une certaine époque lui est interdit devient possible quand il s’est pourvu d’instrumens logiques supérieurs en efficacité à ceux dont naguère il pouvait se servir.