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vraie différence entre les deux complices, et le caractère cauteleux de Pope est assez connu pour qu’on puisse le soupçonner de s’être livré avec Bolingbroke et ménagé avec Warburton. « Le jour est venu, écrivait-il une fois à Swift, jour désiré que je n’espérais pas voir, où tout ce que j’estime entre les mortels est du même sentiment en politique et en religion. » — «Quand lui (Pope) et vous (Swift) et un ou deux amis aurez vu ma métaphysique, écrit Bolingbroke, satis magnum theatrum mihi estis. » Sur ce théâtre-là, Pope, on le voit, pensait librement comme ses amis; mais quand il se trouva compromis devant le public et que Warburton s’offrit pour le refaire orthodoxe, il accepta ce secours inespéré, et consentit à un système de défense auquel il n’avait jamais pensé.

Mais ce n’est qu’en 1739 qu’il se couvrit ainsi du bouclier de la foi. Dans les premiers temps de sa retraite, Bolingbroke jugea le moment favorable pour travailler à l’ouvrage qu’il avait promis. Jusqu’à la fin de sa vie, il le poursuivit sans l’achever. Lord Chesterfield, qui, traversant la France en 17/11, le vit dans sa retraite, le trouva, à son grand regret, tout occupé de métaphysique, et comme c’était chose dont il ne faisait aucun cas, il essaya de le ramener à l’idée d’écrire l’histoire de l’Europe depuis la paix de Vervins. Bolingbroke n’était pourtant pas aussi étroitement confiné qu’il voulait bien le paraître dans les spéculations de la philosophie. Il était depuis peu de temps à Chanteloup, lorsqu’il écrivit à lord Bathurst une lettre très étendue sur ses projets d’études dans sa nouvelle situation. Il y expose avec développement l’état de son esprit, et prend la défense de la raison contre les préjugés et les passions. Chercher la vérité sera désormais le seul plaisir qui lui reste, et cependant du sein de sa retraite il contribuera, s’il le faut, à défendre la constitution britannique, puisque, l’ayant reçue de ses pères, il en est comptable à la postérité.

Cette dernière pensée le porta à entremêler ses recherches philosophiques de travaux sur l’histoire. Après avoir maintes fois exprimé une répugnance absolue à défendre sa conduite politique même par le simple récit des faits, il trouva que la relation écrite par le docteur Swift des quatre dernières années de la reine Anne était peu satisfaisante et ressemblait trop à un ouvrage de polémique. Il adressa donc à lord Cornbury ses Lettres sur l’étude el l’usage de l’histoire. La première partie se compose de réflexions qui rappellent ce que Voltaire nommait philosophie de l’histoire. On y trouve une instruction variée, plus d’indépendance que d’originalité, et une grande liberté dans l’examen des monumens de la tradition biblique[1]. La

  1. La dernière section de la lettre III est dirigée contre la certitude du témoignage de la bible en ce qui touche l’histoire, la chronologie, la géographie, etc. C’est cette partie des lettres que Voltaire prétend traduire dans son ouvrage intitulé : Examen important de milord Bolingbroke. Ni pour le ton, ni pour la suite des idées, ni même pour le choix des critiques, son ouvrage ne ressemble au texte sur lequel il prétend l’avoir collationné. Une lettre à lord Cornbury et la réponse, ainsi qu’une note, signée Mallet, du 18 mai 1767, suivent ordinairement ce traité dans les œuvres de Voltaire, et sont tout à fait apocryphes. La Défense de lord Bolingbroke par le chapelain du comte de Chesterfield est une fiction non moins reconnaissable.