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besoin de cet argent pour vous. Peut-être serez-vous longtemps sans en gagner, maintenant que vous avez rompu avec Morin. Il faut donc songer à l’avenir et ménager vos fonds, pour que vos travaux, qui peuvent rester improductifs, ne se trouvent arrêtés que le plus tard possible. Avec une pareille somme, vous pouvez être votre maître pendant près d’un an, et un an d’études sérieuses vous serait bien profitable.

— Un an ! dit Francis ; c’est impossible.

— Mettons six mois alors, puisque vous aimez le luxe, dit Antoine en riant.

— Bah ! s’écria Francis, je puis faire un peu de prodigalité, puisque je suis à la veille d’avoir une commande qui sera sans doute bien payée.

— A votre place, dit Antoine, au cas où je recevrais cette commande, je demanderais du temps pour l’exécuter.

— Mais je n’ai pas autre chose à faire.

— Si, dit Antoine, vous avez à faire des progrès.

— Vous croyez ?

— J’en suis sûr, reprit Antoine. Et pendant que je suis en train de vous donner des conseils qui ont votre intérêt pour but, je vous conseillerai de prendre un atelier dans un autre quartier que celui où vous habitez. Venez dans notre voisinage : cela vous sera plus commode pour nos relations, ensuite vous trouverez par ici des loyers moins chers et la vie à meilleur marché ; mais le principal avantage que vous tirerez de ce changement, c’est que vous ne serez pas soumis quotidiennement aux tentations que vous pouvez rencontrer à chaque heure et à chaque pas dans le brillant et bruyant quartier où vous logez maintenant. Le spectacle du bien-être, alors même qu’on n’est pas envieux, fait encore paraître plus triste une existence destinée aux privations. Malgré soi, on subit l’influence du milieu ; autant vaut qu’il soit favorable. Habitant par ici, vous vous épargnerez bien des comparaisons pénibles. En voyant des gens vivre à ne rien faire, on retrouve plus lourd à la main l’outil du travail qui vous fait à peine vivre.

— J’y songerai, dit Francis.

— Songez-y bientôt, acheva Antoine.

Comme il était fort tard, Francis se disposa à se retirer. Avant de partir, il alla serrer la main à ses nouveaux camarades.

— Ma foi ! dit Lazare à ses amis quand le nouveau sociétaire fut sorti, voilà un garçon qui ne me va que tout juste : on dirait, à ses manières, qu’il prend tous les jours un bain d’empois. Il faudra s’occuper de le friper un peu.