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d’autorité législative et la résurrection d’anciens privilèges féodaux, le projet ne reçut pas alors d’exécution. On le reprit après 1830, et, afin que les provinces danoises ne fussent pas moins bien traitées que le duché allemand qui en dépendait, Frédéric VI voulut donner au Jutland et aux îles, ainsi qu’au Slesvig, une garantie pareille de liberté. Cette concession importante fut l’objet de l’ordonnance du 28 mai 1831. Le roi désigna lui-même des hommes expérimentés du royaume et des duchés pour venir, le 9 juillet de l’année suivante, à Copenhague, exposer leur avis sur la constitution des futurs états, et le 15 mai 1834 parut l’ordonnance qui les organisait définitivement. Les premières convocations eurent lieu dans la seconde moitié de 1835 et les premiers mois de 1836 ; les suivantes se succédèrent de deux en deux ans jusqu’en 1846.

Il faut insister sur cette création, car l’établissement des états provinciaux fut pour le Danemark, aussi bien que pour plusieurs pays de l’Europe, une concession dont le principe n’était autre que celui de la représentation nationale, et une transition naturelle vers la forme constitutionnelle et parlementaire du gouvernement. À ce titre, on peut dire que les états provinciaux marquent une des phases principales par lesquelles ont dû passer les institutions de l’Europe moderne. À peine avons-nous recueilli en France les documens relatifs à l’établissement de nos assemblées provinciales, dont l’histoire bien connue jetterait une lumière imprévue sur les progrès mal étudiés encore de nos libertés : nous pouvons du moins connaître celles de l’Allemagne, qui subsistent, et celles de l’Europe septentrionale, abolies depuis quelques années seulement. Il y eut en Danemark quatre assemblées d’états, une pour chacun des duchés, une pour le Jutland, une pour les îles. Les membres étaient nommés en partie par le roi, en partie par les grands propriétaires, par les villes et par les paysans. Ainsi le mouvement de 1830 avait amené en Danemark et en France un résultat identique, c’est-à-dire une participation plus grande de la nation en général et de la bourgeoisie en particulier au gouvernement. Toutefois il serait facile de démontrer par les chiffres que les grands propriétaires avaient une part d’influence dix fois supérieure à celle des habitans des villes et cent fois à celle des paysans. Cette inégalité entre les différentes classes d’une même nation s’explique en partie par cette pensée du législateur, que la propriété et la fortune doivent être les bases de la représentation nationale ; cependant l’application, même rigoureuse, d’un pareil principe n’aurait certainement pas procuré aux grands propriétaires des avantages aussi exorbitans, car les paysans, grâce aux imposantes réformes que nous avons énumérées, possédaient dès lors en Danemark plus de la moitié du sol, et on a calculé que, suivant une répartition égale