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pour le grand bien qu’elle vient d’opérer, et je vous aimerai toute ma vie[1], même sans vous connaître, pour le profond sentiment que vous avez versé sur cette importante matière. Depuis quinze ans, je n’avais pas cessé de travailler, de solliciter nos ministres pour adoucir le sort des infortunés protestans ; bénie soit à jamais l’assemblée qui rappelle les fugitifs au rang de citoyens français ! J’ai l’honneur d’être, etc.,

« Beaumarchais. »


Voici encore un témoignage inédit de la sollicitude de Beaumarchais pour la liberté des cultes. Celui-ci me semble piquant ; on n’est pas accoutumé à se figurer l’auteur du Mariage de Figaro pétitionnant très sérieusement pour obtenir en faveur des fidèles de son quartier un plus grand nombre de messes, et cela en juin 1791, époque où ces sortes de préoccupations ne sont pas précisément à l’ordre du jour. Sa lettre est adressée aux officiers municipaux :


« Messieurs,

« Les citoyens de la Vieille-Rue-du-Temple et de plusieurs rues voisines se réunissent pour vous faire observer que l’éloignement de l’église de Saint-Gervais et Saint-Protais, leur paroisse, le peu de messes qu’on y dit mettent presque tous ceux qui gardent les maisons, pendant que les autres remplissent un des grands devoirs du chrétien, dans la nécessité d’y manquer fort souvent eux-mêmes. Les femmes, les jeunes personnes, toutes les âmes pieuses et sensibles pour qui les actes de religion sont un aliment doux, utile et même nécessaire, d’accord avec leur digne curé, se joignent à tous nos citoyens pour vous supplier d’ordonner que la chapelle intérieure des hospitalières de Saint-Gervais leur soit ouverte à l’heure du sacrifice, comme vous l’avez accordé aux citoyens des rues Saint-Denis et des Lombards, en leur faisant ouvrir celle des hospitalières de Sainte-Catherine. Notre digne curé se propose même, messieurs, d’augmenter le nombre des messes nécessaires à ce grand quartier, en en faisant célébrer une dans l’église des Blancs-Manteaux.

« Et moi qu’ils ont chargé de rédiger cette demande, quoique le moins dévot de tous, moi qui sens que cette faveur est devenue indispensable, tant pour la régularité des devoirs à remplir que pour faire cesser les propos indécens des ennemis de la patrie qui répandent partout que le civisme est un prétexte pour détruire la religion, je me joins à ma femme, à ma fille, à mes sœurs, à mes concitoyens, à toutes leurs familles pour obtenir de vous que tant de bons chrétiens qui demandent des messes en aient au moins leur suffisance. Nous recevrons cette justice comme une grâce signalée, laquelle honorera votre catholicisme autant que cette pétition honore le leur et le mien.

« Caron-Beaumarchais. »
« Au Marais, ce 28 juin 1791. »
  1. Il est probable que quatre ans plus tard le phraseur Barère, qui pérorait si gracieusement et si indignement en faveur de la guillotine, a paru moins aimable à Beaumarchais.