Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/804

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Quelquefois les anxiétés politiques de l’auteur du Mariage de Figaro s’expriment avec une chaleur sous laquelle on reconnaît un sentiment noble et sincère ; c’est ainsi que dans les derniers temps de la constituante, au moment où cette assemblée se suicide avec tant d’imprudence et consume ses derniers jours au milieu de conflits misérables, Beaumarchais, écrivant, en date du 10 septembre 1791, à un des membres les plus honorables de la majorité, à Beaumetz, avec lequel il est lié, s’écrie :


« Qui aurait cru que la fin d’un aussi grand ouvrage serait déshonorée par les plus vifs débats, et que nous donnerions ce triomphe à nos ennemis du dehors et du dedans, de voir la constitution près de s’écrouler à l’instant où l’on doit commencer à lui donner une exécution sérieuse ? Misérable intérêt et plus misérable ambition qui rendent nos législateurs la risée de ceux qui se plaisaient tant les respecter ! Et M. de Bouillé, et M. de Calonne, et M. d’Autichamp relèvent l’espoir de leur parti en lui montrant les forces que nos divisions lui prêtent. Pendant que vous allez laisser toutes nos affaires dans le trouble, est-ce la législature d’avocats que nous vous fabriquons avec tant de cabales qui les rétablira ? J’en sais trop pour ne pas mourir de chagrin de tous les maux que je vois prêts à fondre sur notre pauvre France ! »


L’avenir n’apparaît pas toujours à Beaumarchais sous un aspect aussi sombre, à en juger par ce tableau plus riant qu’il adresse à un prince russe à Saint-Pétersbourg, en date du 12 novembre 1791. Peut-être aussi l’amour-propre national le porte-t-il à présenter les choses un peu plus en beau qu’il ne les voit.


« La révolution qui s’est faite chez nous, écrit-il, influe beaucoup sur la littérature. Les peuples libres en général perdent en grâce ce qu’ils acquièrent en force, et notre théâtre se ressent du nouvel esprit de la France. Tous occupés de grands intérêts et devenus à moitié républicains, nous ne pouvons plus nous plier à la mollesse littéraire convenable à l’ancien régime ; mais, il faut l’avouer, pour redresser notre arbre, nous l’avons fait courber du côté opposé. Des mots durs qui font fuir les Muses sont dans la bouche de nos acteurs. Nous avons des châteaux-forts en place de palais, et pour orchestre des canons. Les rues tiennent lieu de ruelles : où l’on entendait des soupirs, on entend crier liberté ; — et : vivre libre ou mourir, au lieu de : je t’adore. Voilà quels sont nos jeux et nos amusemens. C’est Athènes l’aimable qui s’est un peu changée en Sparte la farouche ; mais l’amabilité étant notre élément, le retour de la paix nous rendra notre caractère, et seulement d’un ton plus mâle ; notre gaieté reprendra le dessus. »


Tout en se livrant ainsi à l’observation et à l’appréciation des affaires publiques, Beaumarchais continue son commerce épistolaire avec les insulteurs, les quêteurs et les faiseurs de projets qui l’assiègent comme par le passé, non sans quelques nuances nouvelles qui tiennent à la licence du temps. Voici par exemple un petit échan-