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scène des plus belles et des plus pathétiques, celle du quatrième acte, où la comtesse Almaviva, altérée par la découverte de sa faute, ne trouve pour répondre aux interrogations terribles du comte que des prières entrecoupées qu’elle adresse non pas à son époux, mais à Dieu. La Harpe nous assure qu’à la première représentation tout le monde riait de cette scène, suivant lui insupportable au théâtre, « où, dit-il, on ne dialogue pas un quart d’heure de suite avec Dieu quand il faut répondre à un mari. Rien ne fait mieux voir, ajoute-t-il très lestement, de quelles bévues un homme d’esprit est capable dans ce qui est étranger à son genre d’esprit. »

En vérité le mot de bévue nous semble ici pouvoir être retourné avantageusement contre La Harpe. Il nous paraît fort douteux que tout le monde ait ri de cette scène en 1792 ; mais ce qui est certain, c’est que personne n’en rit aujourd’hui. On juge avec raison que c’est une idée aussi vraie qu’émouvante, — étant donnée une femme honnête, sensible et pieuse, — de la montrer accablée par une révélation inattendue qui la dégrade aux yeux de son mari, ne trouvant aucune parole pour lui répondre et ne sachant que s’accuser devant Dieu, non pas un quart d’heure, comme le dit très faussement La Harpe, mais un instant, et par quelques phrases entrecoupées, très habilement mêlées aux phrases du comte qui lit avec fureur la lettre accusatrice. Cette scène, dans son ensemble, est assurément la plus belle de la pièce ; elle ne manque jamais de produire sur le public une vive impression, et c’est peut-être à elle seule que le drame de la Mère coupable doit de s’être maintenu au théâtre jusqu’à nos jours.

Parmi les nombreuses lettres écrites ou reçues par Beaumarchais au sujet de ce drame, nous n’en citerons que deux. L’une est adressée à la veuve du dernier des Stuarts, à l’amie d’Alfieri, la comtesse d’Albany, qui se trouvait à Paris en 1791 et qui avait demandé à Beaumarchais de faire chez elle une lecture de la Mère coupable. Le billet de Beaumarchais offre, ce me semble, une sorte de petit résumé assez vif des qualités et des défauts de son style. Le voici :


« Paris, ce 5 février 1791.
« Madame la comtesse,

« Puisque vous voulez entendre absolument mon très sévère ouvrage, je ne puis pas m’y opposer ; mais faites une observation avec moi : quand je veux rire, c’est aux éclats ; s’il faut pleurer, c’est aux sanglots. Je n’y connais de milieu que l’ennui.

« Admettez donc qui vous voudrez à la lecture de mardi, mais écartez les cœurs usés, les âmes desséchées qui prennent en pitié ces douleurs que nous trouvons si délicieuses. Ces gens-là ne sont bons qu’à parler révolution. Ayez quelques femmes sensibles, des hommes pour qui le cœur n’est pas une