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devenir comme sentiment une passion, comme culte une institution. La passion peut être louable, l’institution peut être vénérable; mais l’une et l’autre ne sont pas à l’abri de l’abus qui s’attache à toutes les passions et à toutes les institutions de l’humanité. Considérée sous ce dernier rapport, la religion est un fait social, une loi écrite, un établissement national, et elle tend à se confondre avec les autres moyens de pouvoir. Elle fait à un certain degré partie du gouvernement, elle le seconde ou le supplée, et elle est dans la main des hommes ce que sont tous les instrumens politiques, quelque chose dont se sert la prudence, dont se couvre l’intérêt, dont s’arme l’ambition. Par suite, le l’aspect qu’elle inspire subit toutes les variations de l’opinion publique, et peut même être exposé à l’atteinte des révolutions.

Comme sentiment individuel, au contraire, la religion, quand elle se passionne, peut s’exalter sans mesure et troubler l’ordre général. La conscience, séduite par l’imagination, s’enhardit à des singularités qui peuvent être dangereuses encore qu’innocentes, mais qui ne sont pas toujours innocentes. Un enthousiasme aveugle, une mysticité qui s’égare, tout, jusqu’à l’ascétisme désintéressé, jusqu’aux excès d’une austérité sans contrôle, peut entraîner les hommes aux violences de l’esprit de secte, à des témérités subversives, à des crimes pieux. Sans même aller aussi loin, la religion, comme fait individuel, est un moyen d’indépendance, tandis que comme fait social elle est un moyen de pouvoir. Or les hommes abusent de tous les moyens, de l’un dans le sens révolutionnaire, de l’autre dans le sens absolutiste. Ainsi, sous l’influence de la corruption ou de la faiblesse humaine, on conçoit que la religion puisse dégénérer ici en hypocrisie oppressive, là en fanatisme perturbateur.

Je force à dessein les expressions; mais on saisira, j’espère, ma pensée dans sa juste mesure, on comprendra surtout qu’au jugement des hommes, toujours prompts à porter des condamnations sans restriction, la religion peut, suivant les circonstances, présenter des faces diverses, et trouver des ennemis, rencontrer au moins des indifférens ou des incrédules à des titres opposés. Les uns s’en détacheront parce qu’ils sont hommes de gouvernement, les autres parce qu’ils sont hommes d’opposition.

Tous ces résultats se sont produits dans la révolution anglaise. Tandis que la réformation, conçue à la manière des rois, avait fait de la religion une annexe de leur autorité et une partie de l’établissement monarchique, la réformation, comprise à la manière du peuple, avait déchanté dans le champ de la croyance l’indépendance individuelle. On sait à quels excès de pensée et parfois d’action la libre prédication de la Bible avait poussé les sectes innombrables qui