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a plus de chances que le latinisme dans l’effort que font les Slaves des Carpathes pour associer plus étroitement leurs espérances à celles des Slaves du Balkan. Si l’on doutait de ces tendances des Slaves latins à s’éloigner de Rome, il suffirait de signaler les récens travaux des historiens de la Bohême sur Jean Huss et sur ses doctrines, généralement considérées aujourd’hui comme une des grandes manifestations de la vie nationale de ce loyer du slavisme contemporain.

Mais s’il est à redouter que ce mouvement religieux, dirigé par l’esprit de nationalité, ne s’accomplisse au détriment de Rome, il y a du moins lieu de croire qu’il ne profitera pas à la grande puissance dont l’action menace l’Europe orientale d’une unité bien autrement redoutable que ne le serait l’unité romaine, même dans l’hypothèse d’un triomphe auquel elle est loin de songer. La papauté n’a jamais poursuivi dans ces contrées qu’une suprématie purement religieuse. Encore doit-on se rappeler qu’appréciant avec équité l’attachement des Orientaux pour les formes extérieures de leur culte et la discipline ecclésiastique de leurs églises, le saint-siège professe pour ces antiques traditions un respect, qui limite aux seuls dogmes fondamentaux l’unité qu’il réclame. L’unité que recherche la Russie présente un autre caractère, et quand le gouvernement russe, à l’occasion de l’encyclique du pape ou de la question des lieux-saints, est venu entretenir les Orientaux de son zèle pour leur cause, ils étaient en droit de lui répondre que le danger est pour leurs églises beaucoup plus à Saint-Pétersbourg qu’à Rome. Le travail d’idées entrepris depuis quelques années par chacun de ces peuples pour conserver et raffermir leur individualité politique, religieuse et littéraire, semble avoir été inspiré par la vue même de ce danger. En se proposant de nationaliser de plus en plus leurs églises, les populations de l’Europe orientale ne semblent vouloir que se mettre mieux en mesure de défendre leur autonomie politique, et elles n’ignorent point quel est le véritable ennemi des destinées qu’elles rêvent. La politique actuelle de la Russie en Orient n’est pas faite d’ailleurs pour les rassurer. Protectorat religieux ou protectorat politique, elles ont pour l’un et l’autre les mêmes défiances, que leur inspire du reste le protectorat dont quelques-unes connaissent l’esprit pour en avoir subi le fardeau.


H. DESPREZ.