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commerçant sur les côtes, comme marchands, ou bien comme soldats mercenaires au service des princes du pays.

À dater de l’année 860 de notre ère, ces agglomérations de tribus pastorales et guerrières qui s’agitent entre le laxartès et l’Indus, malgré la redoutable barrière du Caucase indien, passent sous la domination successive de chefs appartenant aux races principales qui viennent d’être signalées. Pendant des siècles, l’Afghanistan est le grand chemin et le point de rencontre hostile des nations que le flux et le reflux de ces races turbulentes forme, détruit, modifie sans relâche. Depuis Hérodote jusqu’à nos jours, l’histoire entend le bruit lointain de ce bouillonnement des peuples asiatiques, et recueille le récit étrange de leurs chocs réitérés ; mais, si l’on en excepte la merveilleuse expédition d’Alexandre, aucune époque historique, dans l’extrême Orient, n’est aussi riche en événemens propres à affecter les destinées de l’espèce humaine que celle qui commence à Mahomet et se termine avec la vie d’Akbar. Nous ferons remarquer que le lieu où se déroule l’exposition de ce drame immense qui a duré dix siècles est le même que les exploits d’Alexandre avaient immortalisé. De ce point critique (dont nous avons déjà signalé toute l’importance)[1], Alexandre rêvait à trente ans, et avec ses quelques milliers de vieux soldats européens, la conquête qu’accomplirent en cinq siècles les générations envahissantes que les Tourks, les Afghans, les Moghols, envoyèrent tour à tour dans l’Hindoustan ! — C’est un grand spectacle sans doute et bien digne d’être étudié et médité, que celui que présentent les cultes, les alliances, les fusions partielles, les transformations graduelles de tant de peuples et la marche de l’humanité, résultante mystérieuse de ces forces convergeant à leur insu vers un but providentiel. Les altérations subies par chacun de ces peuples aux différentes phases de sa vie guerrière et politique, altérations qui ont atteint plus ou moins profondément non-seulement ses mœurs et ses croyances, mais jusqu’à ses caractères physiques, ont été en partie constatées par les historiens mahométans, et sont, aujourd’hui l’un des sujets les plus intéressans des recherches de l’ethnographie philosophique. Les tribus tartares qui se sont mêlées aux peuples plus occidentaux ont perdu le rude aspect et la physionomie repoussante de leurs aïeux. La population des villes a plus changé que celle des campagnes. Les premiers musulmans qui s’établirent dans l’Hindoustan étaient des hommes athlétiques au teint animé, vêtus d’une courte tunique de gros drap, et chaussés de fortes bottes. Au temps d’Akbar, ils étaient déjà d’une taille plus svelte, d’un teint beaucoup plus foncé, portaient de longues robes

  1. Revue des Deux Mondes, livraison du 15 mars 1840.