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II. – LES ANIMAUX DANS LE MOYEN ÂGE.

Dans l’une des plus naïves et des plus bizarres productions de notre vieille littérature, le Roman d’Alexandre, on lit que ce héros, voulant savoir ce qui se passait au fond de la mer, y descendit dans une grande lanterne éclairée par des lampes, ce qui lui permit d’examiner en détail les profondeurs de l’abîme, à la grande surprise des poissons qui se pressaient en foule autour de lui. Émerveillé de ses observations sous-marines, il voulut aussi connaître ce qui se passait dans le firmament, et pour satisfaire cette nouvelle curiosité, il se plaça dans un grand panier couvert de cuir auquel il attacha des grillons. D’une main il tenait les rênes de ce singulier attelage, de l’autre une lance au bout de laquelle il avait mis de la viande et qu’il élevait au-dessus de la tête de ces coursiers d’un nouveau genre. Les griffons, en voulant saisir la viande, étaient forcés de s’élever toujours. Ils s’approchèrent ainsi du ciel, qu’on prit longtemps pour une espèce de tenture bleue dans laquelle les astres étaient fixés comme des clous d’argent sur une tapisserie. Fier de se trouver si près des dieux, plus haut que les aigles et plus loin que les nuages, le vainqueur de l’Inde contempla tout à loisir la voûte céleste, qu’il pouvait en quelque sorte toucher avec la main. Quand il eut terminé ses études astronomiques et cosmographiques, il tint sa lance baissée, et par l’appât de la viande, il força ses griffons à le ramener sur la terre.

Les savons du moyen âge, lorsqu’ils veulent observer la nature, procèdent à peu près comme Alexandre : c’est au monde fantastique qu’ils empruntent leurs guides, c’est en visionnaires qu’ils observent la réalité. Le moyen âge n’étudie point la création pour en pénétrer les secrets, car ce serait porter dans des mystères dont Dieu s’est réservé le mot une curiosité téméraire et impie. Il ne l’étudie point non plus pour chercher a étendre sa puissance ; il connaît trop le néant des choses de la vie ; en s’attachant au monde matériel, il se détournerait de sa fin suprême ; seulement il sait par les livres saints que les animaux sont les témoignages vivans de la toute-puissance divine ; il les a vus dans la Bible servir de texte à une foule d’allégories et d’interprétations morales, et devenir dans les écrivains de la primitive église les emblèmes des vices, des passions et des vertus. Il s’en occupe donc d’une part pour apprendre par les magnificences de la création à glorifier Dieu, de l’autre pour chercher des exemples et des règles de conduite. La science se trouve de la sorte complètement subordonnée à l’exégèse religieuse et à renseignement moral.

Dès le second siècle de l’ère chrétienne, on voit paraître sous le