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de la propreté inaccoutumée des abords. La cour, autrefois encombrée par le fourrage vert ou par les instrumens de labour, était libre et balayée, les étables soigneusement refermées, la conche (bassin) de la fontaine pure de tous débris. On avait lavé et poli au sable les bancs placés devant la maison. Les vieilles caisses de la galerie, depuis longtemps envahies par les herbes parasites, étaient regarnies de giroflées et d’œillets ; la vigne, autrefois éparpillée sur le mur de la grange, avait été dirigée sous les fenêtres, et commençait à les enguirlander d’un encadrement de verdure.

C’était la première fois que ces changemens, exécutés l’un après l’autre, se montraient à Barmou dans leur ensemble. Son œil en fut réjoui. Les Morneux avaient pris un faux air de chalet bernois. Il comprit que cette transformation était due tout entière à sa filleule. Ce qu’elle n’avait point fait, elle l’avait fait faire par son influence. Il y a dans l’ordre comme dans le désordre une espèce de contagion qui gagne de proche en proche. Nous avons tous un instinct d’association qui nous fait tendre à l’accord avec ce qui nous entoure ; il faut que l’homme imite, s’il ne donne pas l’exemple. En voyant Marthe tout mettre à sa place, François en avait fait autant par sympathie, et la Lise par rivalité : l’une ne voulait point paraître inférieure, l’autre cherchait à agréer. Jacques ne put s’empêcher de penser qu’après tout l’influence exercée par la jeune fille tournait à son profit, et que son arrivée aux Morneux était à noter parmi ses plus heureuses chances.

Cependant la pluie augmentait ; le paysan, qui commençait à la sentir à travers sa veste neuve, pressa le pas pour gagner l’auvent. Comme il y arrivait, son oreille fut frappée par des sons inaccoutumés. Marthe ranimait le feu dans la salle basse en fredonnant un de ces airs des Alpes dont les notes élevées ont je ne sais quel éclat de gaieté naïve et libre. La voix de la jeune fille se faisait remarquer par la justesse harmonieuse qui semble naturelle aux habitans de la Suisse alémanique et qui est si rare dans les pays de race romande, car pendant que les montagnes des petits cantons retentissent d’airs nationaux et que tous les pics vous renvoient quelques sauvages mélodies, le Jura neuchâtellois, la plaine de Genève et les riches campagnes de Vaud demeurent silencieuses. Là, jamais le chant n’accompagne le travail ; l’homme courbé sur la terre qu’il laboure rêve ou médite sans épandre au ciel sa joie ni sa tristesse.

Aussi, depuis que Barmou habitait les Morneux, était-ce la première fois qu’il entendait un chant de femme. On eût dit que quelque oiseau étranger, entré par hasard dans cette demeure muette, y réveillait tout à coup des échos inconnus. Bien que l’ancien soldat fût peu accessible aux impressions poétiques, ce chant lui parut une