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despotes, il ne s’était trouvé entouré que d’êtres avilis ou silencieux. Quiconque se respectait et voulait qu’on le respectât s’était tenu à l’écart. Quant à François, dont la nature molle et insoucieuse avait fini par s’alanguir encore sous la dure autorité de l’oncle Jacques, il se ranima insensiblement sous l’action vivifiante de Marthe. Aussi mit-il à son service toute son intelligence et toute sa bonne volonté. Un signe, un simple désir de la jeune fille le faisait courir. Celle-ci finit par remarquer son pouvoir ; mais, loin d’en abuser, elle cessa, dès qu’elle s’en fut aperçue, de rien demander au jeune valet. François avait beau l’exciter à user de lui, se faire son serviteur volontaire : Marthe se tenait de plus en plus sur la réserve, évitant de se trouver seule avec François et rompant toutes les explications qu’il s’efforçait d’amener. Le jeune paysan en conçut une tristesse qui se révéla d’abord par une langueur silencieuse, puis par des crises de mauvaise humeur qui faillirent provoquer deux ou trois fois une rupture entre lui et Barmou. L’entremise de Marthe avait seule réussi à la prévenir.

Cependant un nuage commençait à flotter sur la sérénité des Morneux, et devait tôt ou tard amener la tempête. Parmi les bons offices rendus par François à la jeune fille, il en était un qu’elle avait continué d’accepter : c’était la course hebdomadaire à la poste du village pour y réclamer la lettre qui lui arrivait à jour fixe et n’avait jamais manqué. Quel que fût le temps ou le travail, François trouvait une heure pour cette course, et la joie de Marthe le payait de sa peine.

Un soir qu’elle lisait une lettre ainsi apportée par le jeune garçon de ferme, celui-ci s’arrêta sur le seuil, les bras croisés. De temps en temps son regard plongeait de côté jusqu’au fond de la salle basse, et s’arrêtait sur Marthe avec une expression d’embarras irrésolu. La jeune fille continuait à lire ; son visage, éclairé par le feu, trahissait successivement toutes ses émotions : elle semblait passer de la joie à l’attendrissement, puis revenir de l’attendrissement au sourire. Enfin, arrivée à la dernière page, elle poussa une exclamation, se pencha vivement pour relire comme si elle eût craint de s’être trompée ; puis, pressant la lettre sur ses lèvres, elle se releva d’un bond. Ses yeux rencontrèrent alors l’œil de François qui l’observait, et elle rougit embarrassée.

— Il paraît que la lettre apporte de bonnes nouvelles ? dit le jeune homme.

— Oui, oui ; merci, François, répliqua-t-elle en cachant le papier et se remettant à ranger.

— Merci, un tel ! voilà tout le paiement ! fit observer le valet avec un peu d’amertume.

— Vous faut-il donc une révérence et un Dieu vous garde ? dit la jeune fille gaiement ; ce sera de grand cœur !…