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grecque, qu’il ne fut imposé aux Latins aucune condition blessante pour l’honneur et les intérêts de la France[1]. »

M. de Nesselrode se hâta de répondre à cette dépêche de lord Clarendon et n’épargna rien pour entretenir l’Angleterre dans sa fausse sécurité. Il écrivit le 7 avril au baron Brunnow :

« Il nous a été bien agréable, monsieur le baron, de voir par cette pièce (la réponse de lord Clarendon), comme par le résumé de vos entretiens avec les ministres britanniques, que tous les faux bruits répandus à Constantinople à l’égard de nos intentions n’avaient causé aucune alarme ou appréhension au cabinet de Londres, convaincu, par les assurances personnelles qu’il a reçues à ce sujet de l’empereur, que le désir et la résolution de sa majesté sont de respecter l’indépendance et l’intégrité de l’empire turc, et que si ses vues à cet égard venaient à subir un changement quelconque, notre auguste maître serait le premier à en avertir le gouvernement anglais.

« Veuillez assurer les ministres de la reine, dans les termes les plus positifs, que les intentions de l’empereur sont toujours les mêmes, et que toutes les vaines rumeurs auxquelles a donné lieu dans la capitale ottomane l’arrivée du prince Menchikof : — occupation des principautés, agrandissement de territoire du côté de nos frontières asiatiques, prétention de nous assurer la nomination du patriarche grec de Constantinople, langage hostile et comminatoire tenu a la Porte par notre ambassadeur, — sont non-seulement exagérées, mais dénuées même de toute espèce de fondement ; qu’en un mot la mission du prince Menchikof n’a jamais eu et n’a encore d’autre but que celui dont votre excellence a été chargée de faire part au gouvernement britannique. »

En même temps que la Russie renouvelait ses promesses et redoublait ses protestations à l’Angleterre, elle employait toutes les flatteries, toutes les ruses pour la séparer de la France. Exciter contre nous les défiances de l’Angleterre, empêcher l’alliance des deux grandes nations libérales de l’Occident, tel était dès le principe le but du gouvernement russe. On va voir le langage que la Russie tenait sur notre compte, langage où l’acrimonie se cachait mal sous des grimaces de dédain, langage que par modération nous ne voulons point qualifier, mais qu’il nous suffit de reproduire pour faire comprendre à des lecteurs français la vraie situation d’intérêt et d’honneur où la France est placée dans cette question vis-à-vis de la Russie, M. de Nesselrode continuait en ces termes :

« Quant à la recommandation qui nous est faite de ménager autant que possible l’amour-propre de la France, dans la question délicate des lieux-saints, et, tout en revendiquant les droits de l’église grecque, de chercher à ne rien imposer aux Latins qui pût blesser trop directement l’honneur et les intérêts de cette puissance, vous pouvez assurer également les ministres anglais

  1. Corresp., part I, n° 113.