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croire que les propositions du prince Menchikof fussent sanctionnées par son gouvernement ; il écrivait le 16 mai à sir Hamilton Seymour :


« Le baron Brunnow m’a lu une dépêche, à lui adressée par le prince Menchikof, où il est dit que dans le règlement de la question des lieux-saints il a reçu une assistance importante de l’ambassadeur de sa majesté à Constantinople, mais que, dans les autres demandes qu’il a eu à faire auprès de la Porte, il a rencontré l’opposition de lord Stratford.

« J’ai répondu qu’on ne conseillant point aux ministres turcs d’accéder à des demandes qui doivent être préjudiciables à l’indépendance de la Turquie, lord Statford avait agi non-seulement suivant ce qu’il savait être la politique du gouvernement de sa majesté, mais aussi conformément à ce qu’il avait tout lieu de regarder comme les intentions de l’empereur de Russie.

« J’ai dit aussi au baron Brunnow que, dans l’opinion du gouvernement de sa majesté, le prince Menchikof ne pouvait être autorisé par sa cour à chercher à étendre l’influence religieuse, et par ce moyen la puissance politique de la Russie en Turquie, attendu que le comte de Nesselrode vous avait informé qu’une fois la question des lieux-saints arrangée, le prince Menchikof n’aurait plus qu’à traiter d’affaires ordinaires, et de plus que nous possédions les vues de l’empereur sur la nécessité de maintenir l’indépendance du sultan.

« Le gouvernement de sa majesté se trouvait donc placé dans la nécessité ou de croire que le prince Menchikof avait dépassé ses instructions, ou de douter des assurances qu’il avait reçues ; mais il ne s’était pas arrêté à cette dernière alternative. Le gouvernement de sa majesté avait reconnu au contraire l’avantage des explications franches et. amicales qui lui avaient été offertes par l’empereur de Russie, lesquelles l’avaient autorisé à ne point partager et à dédaigner même les appréhensions excitées en Europe par les procédés du prince Menchikof, unis aux préparatifs militaires qui se faisaient dans le midi de la Russie[1].


Le moment ne tarda pas à venir cependant où le gouvernement anglais dut s’avouer qu’il avait été trompé. Ce fut lorsqu’il apprit le départ de Constantinople du prince Menchikof. Lord Clarendon écrivit sous cette impression à sir Hamilton Seymour une longue dépêche, destinée à être communiquée à M. de Nesselrode. C’était une récapitulation de toutes les assurances officielles données par le gouvernement russe sur l’objet de la mission du prince Menchikof : entre le 8 janvier et le 19 mai, le comte de Nesselrode avait affirmé à quinze reprises que le seul but de la mission du prince était le règlement de la question des lieux-saints, et voilà que cette parole, quinze fois donnée, se trouvait maintenant démentie[2]. En réponse à cette dépêche, sir Hamilton Seymour envoyait à lord Clarendon ces excuses caractéristiques : « Ç’a été, je puis l’affirmer à votre

  1. Corresp., part I, no 176.
  2. Corresp., part I, no 195.