Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/1041

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne peut cependant être considérée que comme un bien faible arrosement, quand on la compare à ce qui résulte de la pluie. Dans plusieurs expéditions de nos troupes en Algérie, quand il s’agissait de châtier le brigandage des tribus insoumises, on ne pouvait mettre le feu à leurs champs de céréales qu’à une heure assez avancée de la journée, car les plantes étaient tellement imbibées de, la rosée de la nuit, qu’il fallait attendre qu’elles eussent été desséchées par les rayons du soleil. Homère, cet excellent observateur, mentionne très exactement cette rosée fécondante, cette thélus éersé, qui, dans les nuits des saisons les plus chaudes et dans l’absence de la pluie, humecte la terre d’une, manière avantageuse.

Une cause de refroidissement bien autrement puissante et déjà indiquée dans un de nos précédens articles[1], c’est le transport d’une masse d’air humide dans les régions supérieures. Cet air, déchargé du poids des couches qui pesaient sur lui, se dilate considérablement, et, d’après une loi de physique bien connue, cette dilatation est accompagnée d’un refroidissement très grand. Ainsi, pour refroidir l’air et lui faire abandonner, sous forme de pluie, la vapeur qu’il contient, il suffit de l’élever à une certaine hauteur. Si cet air est déjà très humide, il suffira d’un très petit soulèvement pour qu’il abandonne par son refroidissement l’eau qu’il contient en abondance. C’est ainsi que dans nos contrées où règne le vent d’ouest qui nous arrive, après s’être chargé des vapeurs exhalées des courans chauds de l’Atlantique, il suffit de la saillie même du sol de la France et de l’arrêt qu’elle produit dans les courans de l’air maritime pour fournir les pluies qui alimentent le bassin de la Seine, celui de la Loire et celui de la Garonne, comme aussi les bassins moins étendus de la Somme, de la Charente et de l’Adour ; mais c’est ici et d’après ce principe que l’on reconnaît l’action puissante des montagnes pour déterminer la production des nuages et les pluies qui alimentent la source de toutes les rivières dont le bassin s’étend jusqu’au pied de ces immenses saillies des continens.

En effet les masses d’air des mers et des plaines portées par les courans atmosphériques vers les montagnes glissent le long de leurs flancs et s’élèvent par suite à d’immenses hauteurs. Dès lors, ces masses se dilatent et se refroidissent prodigieusement. Deux cents mètres d’élévation donnent déjà 3 degrés de froid ; qu’on juge d’après cela du froid qui doit résulter d’un soulèvement égal à la hauteur des Alpes, des Pyrénées, du Caucase, de la Cordillère occidentale des deux Amériques, ou de l’Himalaya d’Asie ! Voilà la cause très simple qui fait des chaînes de montagnes le berceau et l’origine des grands fleuves, et déjà, avant de parcourir le globe entier, nous voyons les Alpes d’Europe donner, par le vent humide de sud-ouest, naissance à deux fleuves : le Rhône et le Rhin. Par le vent d’est, ces mêmes Alpes font déposer l’eau qui alimente l’immense bassin du Danube, et enfin, par le vent chaud et humide du sud, la barrière élevée des monts qui sont au nord de l’Italie fait déposer toute l’eau du bassin du Pô et des autres tributaires de l’Adriatique. Le Psalmiste a dit très bien : Rigans montes de superioribus suis ; c’est l’élévation du sommet des montagnes qui est la cause de leur irrigation.

  1. Voyez la livraison du 15 décembre 1853.