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saison des pluies. Ce sont les contrées situées entre les tropiques, et où le soleil, deux fois l’an, passe perpendiculairement sur la tête des habitans, occasionnant en ces jours un excès de chaleur qui naturellement doit se traduire par une raréfaction énergique des couches qui reposent sur le sol, par l’élévation de ces couches, devenues trop légères pour porter les couches supérieures, et enfin par le refroidissement et la pluie qui suivent toujours ces effets produits par une cause quelconque. La plupart des gens du monde se figurent que c’est au moment où le soleil s’éloigne vers le midi que tombent dans l’Abyssinie les pluies diluviennes que les crues du Nil portent ensuite à la Méditerranée par ce débordement si célèbre qui fait la fertilité de l’Égypte.

Il n’en est rien. C’est au moment où le soleil arrive à être perpendiculaire au-dessus d’une localité intertropicale, que la chaleur détermine la rupture d’équilibre qui occasionne, l’élévation des couches et la pluie, comme nous l’avons déjà dit et répété plusieurs fois. Il est impossible de se faire une idée de la masse, d’eau que versent les pluies de saison dans les bassins de l’Amazone et de l’Orénoque. Après les débordemens de ces fleuves et de leurs affluens, à plusieurs dizaines de mètres de hauteur, toute une contrée vaste comme l’Europe devient à la lettre une mer d’eau douce, dont l’écoulement dans l’océan le dessale à une grande distance des côtes, et près de laquelle les immenses lacs de l’Amérique septentrionale ne sont que de petits étangs. Dans ce grand déploiement des forces physiques, où la nature, impérieuse et irrésistible dans son action, commande l’attention à l’homme, dont l’existence est menacée, la science d’observation progresse forcément, et les meilleurs physiciens sont les habitans eux-mêmes, dont la conservation dépend de la connaissance des vicissitudes des saisons. On a dit que les peuplades sauvages avaient recueilli plusieurs données scientifiques, invitées qu’elles étaient par le spectacle grandiose des eaux, des vents, des orages, et de tous les météores dans les régions tropicales. Il est bien plus probable que, leur pays devant être envahi tous les ans par les inondations ou par les pluies, elles en ont plus par nécessité que par sentiment poétique, observé les effets, la marche et les pronostics.

En examinant le grand nombre de théories qui ont été avancées sur l’origine des rivières comme sur la cause de la pluie, on voit que la plupart des raisonneurs ont été préoccupés de l’idée que la masse, d’eau qui tombe en pluies chaque année, était insuffisante pour alimenter les vastes cours d’eau que nous offrent les divers bassins physiques qui partagent le globe ; mais autant l’imagination est prompte à s’égarer dans des aperçus primesautiers, comme dirait Montaigne, autant le calcul mathématique est froid et infaillible dans ses déductions. Or nous savons dans plusieurs localités combien il tombe d’eau par an, et tenant compte de l’étendue de la contrée ainsi arrosée, on trouve cent fois plus d’eau qu’il n’en faudrait pour alimenter les rivières. On n’est donc plus embarrassé de trouver de l’eau ; on n’est plus en peine de savoir ce que devient celle qui tombe, et dont une minime part s’écoule par les fleuves vers la mer. On voit facilement du reste que l’évaporation des terrains humectés doit renvoyer immédiatement dans l’atmosphère la majeure partie de l’eau qui tombe, et qui en général pénètre peu dans la terre quand celle-ci n’est pas très sablonneuse ou caillouteuse. Cette masse