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tsar, dernière tentative essayée entre une suspension de rapports diplomatiques et une rupture définitive, a reçu la réponse qu’il était malheureusement facile de prévoir. L’empereur Nicolas déclare ne point accepter les propositions qui lui sont faites ; Dès lors, pour la France et pour l’Angleterre, que restait-il à faire, si ce n’est à se préparer aux conséquences de ce refus ? C’est vers ce but que tout converge des deux côtés du détroit depuis quelques jours. Au milieu de ces préparatifs, s’il est un spectacle solennel et saisissant, c’est à coup sûr celui qu’a offert jusqu’ici le parlement anglais. Dans les deux chambres, la question a été débattue, et dans ces débats, qui se renouvellent encore chaque jour, tout est grave et décisif. Le seul intermède peu sérieux, c’est M. Cobden. En vérité, M. Cobden ressemble un peu trop aux instrumens qui excellent à jouer un air, un seul air. M. Cobden a joué excellemment l’air du libre-échange, et il a imaginé être docteur en toute matière politique. C’est ainsi qu’un homme d’esprit peut arriver aux excentricités les plus bizarres. En déclamant en ce moment contre la guerre et contre la Turquie, M. Cobden a eu au moins le succès des membres du congrès de la paix qui ont cru de leur devoir d’aller conférer avec l’empereur Nicolas à Saint-Pétersbourg, et qui viennent d’effectuer un très heureux retour en Angleterre. Ce n’est pas sur le terrain de M. Cobden, on le conçoit, que pourrait se placer l’opposition sérieuse. Le seul reproche adressé par l’opposition anglaise au gouvernement de la reine Victoria, c’est celui de n’avoir pas arrêté cette crise dès le début par plus de décision et d’énergie. C’est là ce qui semble le plus plausible en effet, mais c’était là le difficile. À l’origine, la Turquie n’était pas en état de se défendre, l’Angleterre et la France ne s’étaient pas complètement mises d’accord ; la politique de la Russie ne s’était pas assez dévoilée, et ni l’Autriche ni la Prusse n’étaient suffisamment éclairées sur cette politique violente et agressive.

C’est le temps qui a permis à la Turquie de s’armer et de trouver dans son sein des forces nouvelles, c’est le temps qui a scellé l’union intime de la France et de l’Angleterre, et qui a contribué à rapprocher des deux puissances l’Autriche et la Prusse elles-mêmes ; c’est le temps en un mot qui a créé cette situation où la Russie est seule d’un côté, et où l’Europe est de l’autre. Ainsi cette année de temporisation n’a point été perdue. C’est là, pourrait-on dire, le résumé des divers discours prononcés par lord John Russell et sir James Graham, par lord Palmerston et lord Clarendon. Le discours de John Russell reste notamment comme l’expression la plus élevée et la plus fière du patriotisme britannique à la veille de la guerre, et ce qui achève de lui donner sa signification, c’est la demande faite au parlement d’une augmentation de dix mille hommes pour l’armée de terre, de dix mille hommes pour l’année de mer, ainsi que d’une somme de 3 millions de livres sterling. C’est du reste l’honneur de l’opposition anglaise de n’avoir nullement marchandé ces ressources en hommes et en argent, et de s’être montrée prête à seconder le gouvernement, comme l’a déclaré M. Disraeli. Quant à la France, où les grandes questions politiques n’ont plus aujourd’hui leur retentissement à la tribune, le gouvernement y supplée par des publications destinées à éclairer l’opinion, et qui ne font d’ailleurs que montrer sous une autre face l’alliance des deux pays. En ce moment encore, le gouvernement publie une