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représentent l’déal. Depuis le fétiche jusqu’au Dieu indéterminé, dont on se demande : Est-il ou n’est-il pas ? depuis le Dieu des bonnes gens jusqu’au premier moteur abstrait de la scolastique, c’est toujours un même instinct de la nature humaine qui se traduit par des formes inégalement belles et pures, mais aspirant toutes à exprimer la même chose, et toutes presque également éloignées de l’infini qu’il s’agit d’exprimer. On est religieux dès qu’on admet l’objet idéal et divin de la vie humaine : l’athée, c’est l’esprit étroit, qui, fermé à l’amour désintéressé des bonnes el belles choses, ne voit dans ce monde que matière à jouir, et ne s’élève jamais au-dessus de ses vues basses et égoïstes.

Dieu me garde, en faisant cette réserve, de prétendre élever une objection contre les excellentes doctrines du livre de M. Simon ! Une fois qu’il est bien entendu qu’on est libre dans les choses divines de faire plus ou moins grande la part de l’image et de la métaphore, je ne vois rien dans la formule religieuse de M. Simon qui ne doive, comme sa morale elle-même, rallier tous les esprits bien faits. Ah ! le beau et enviable privilège que celui d’écrire un livre sur lequel tout le monde est d’accord ! Maintenant surtout, au milieu des attaques dirigées contre l’esprit moderne, il faut s’unir ; or l’on ne s’unit que par les grandes vérités inattaquables, en se sacrifiant mutuellement les paradoxes et les opinions individuelles. L’aristocratie dont les temps modernes ont besoin, celle des nobles âmes, se recrutant à peu prés également dans tous les ordres de la société, ne se formera que quand tous ceux qui ont un peu de sens et d’honnêteté se donneront la main, et, tout en gardant une entière liberté sur les formes particulières de leur croyance, s’embrasseront sur le terrain commun de la raison éclairée et du devoir.


ERNEST RENAN.


HISTOIRE DE CENT ANS, par César Cantu, traduite par.M. Am. Renée[1]. — Les résumés et les abrégés sont sans aucun doute, parmi les ouvrages historiques, ceux dont la composition présente le plus de difficultés, quand ils ne sont point conçus, comme l’excellent livre du président Hénault, d’après la méthode strictement chronologique. Il faut en effet raconter et juger tout à la fois, et faire tenir, si l’on peut parler ainsi, en quelques pages les idées, les travaux, les souffrances, la gloire et les désastres de plusieurs siècles. Cette tache, toute rude qu’elle soit, est possible encore lorsqu’il s’agit d’un seul peuple ; mais lorsqu’il s’agit de tous les peuples, c’est à désespérer vraiment les travailleurs les plus infatigables. Aussi devons-nous féliciter d’abord M. Cantu de l’avoir entreprise, tout en nous réservant sur certaines parties de son travail une entière liberté de discussion.

M. Cantu est l’un des écrivains italiens qui, de notre temps, ont obtenu le plus de succès et de popularité. Son Histoire universelle a eu plusieurs éditions en Italie ; elle a été reproduite dans la plupart des langues de l’Europe, et traduite en français par MM. Aroux et Leopardi. Son Histoire de Cent Ans, moins volumineuse et par cela même accessible à un plus grand nombre de lecteurs, a été accueillie avec une égale faveur, et M. Amédée Renée en a donné récemment une bonne traduction, accompagnée de notes, de commentaires et surtout de rectifications importantes, car, tout en reconnaissant le mérite de l’œuvre de M. Cantu, il était, ce nous semble

  1. Paris, Didot, 4 vol. in-18.