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habités, il le conduit dans le domaine de Saint-Ives, fertilisé par son industrie, et il insère sa première lettre adressée à M. Storie de Londres pour lui recommander un prédicateur, le docteur Wells ; puis, sur cette courte lettre, vient un commentaire de huit pages. D’abord, l’auteur décrit la petite ville de Saint-Ives sur les bords de l’Ouse, l’ancienne église, la maison où l’on croit que Cromwell habitait. Il expose l’état de ses affaires, et raconte comment, ayant vendu des propriétés à Huntingdon, il en a placé le prix dans certaines prairies de Slepe-Hall, domaine qu’il a affermé pour cinq ou six ans. Puis il faut rechercher quel était ce M. Storie qui habitait Londres, à l’enseigne du Chien, près de la Bourse, et cet inconnu docteur Wells, chargé à Huntingdon d’une de ces lectures que l’archevêque Laud surveillait avec un zèle de persécuteur. M. Carlyle associe son lecteur à ses recherches ; il le questionne sur ses propres doutes, il ouvre un entretien familier avec les personnages dont il parle, avec les auteurs qu’il cite. « Comment, demande-t-il, vivait Cromwell à Saint-Ives ? comment saluait-il les gens dans la rue ? comment lisait-il la Bible, et vendait-il son bétail ? Il marchait d’un pas pesant, et la tête pleine de pensées, à travers la pelouse du marché, ou les vieilles ruelles étroites de Saint-Ives, sur le bord de la notre rivière de l’Ouse. Tout cela sera laissé à l’imagination du lecteur. Il y a dans cet homme du talent pour tenir une ferme ; il y a des pensées aussi, des pensées bornées par la rivière de l’Ouse, des pensées qui vont au-delà de l’éternité, et une grande et sombre mer de choses auxquelles jamais encore il n’avait été capable de penser. »

Mais il ne faut pas se laisser entraîner. On suivrait très volontiers M. Carlyle, et l’on aimerait à passer avec lui par tous les sentiers où il cherche les traces de son héros. On pourrait, chemin faisant, se disputer un peu avec l’historien, mais on se défendrait malaisément du plaisir de s’arrêter avec lui devant les mêmes tableaux. Brisons là, et souvenons-nous qu’il ne s’agit pas de récrire une vie de Cromwell, mais de savoir si le caractère du sectaire absorbe en lui tout le reste. M. Carlyle, sans le juger d’une manière aussi étroite, a concouru à suggérer un tel jugement. L’héroïsme qu’il attribue au XVIIe siècle en Europe, c’est la sincérité de l’enthousiasme réformateur sous les dehors bibliques du puritanisme, et il en voit dans Cromwell la plus haute représentation. Pourtant les mêmes opinions, le même enthousiasme, la même sincérité se sont rencontrés au même degré chez plusieurs des compagnons de Cromwell, et lequel d’entre eux l’a égalé ? L’homme était donc en lui au-dessus du sectaire. Ajoutons que le puritanisme ne se réduisait pas à une passion dogmatique, ce qui suffit pour former une secte ; mais, par une alliance qui n’a pas, je crois, d’autre exemple, cette passion s’unissait, chez les hommes