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Supprimez par la pensée ce côté du gouvernement de Cromwell, vous le trouverez ramené à des proportions beaucoup plus modestes. Il est très difficile de devenir ce qu’il était au moment où il s’empara du pouvoir suprême. C’est pour en arriver là qu’il faut les dons supérieurs de l’intelligence et du caractère ; mais une fois cette position atteinte, saisir le pouvoir est peu de chose. Ce n’est qu’un acte de force, et il s’y prit avec un sans-façon et une brusquerie qui ne prouvent pas que ce fût bien malaisé. C’est la manière d’exercer le despotisme qui juge les usurpateurs, et en cela Cromwell a autant échoué que réussi.

Le capitaine général et commandant en chef des forces de la république, président du conseil d’état, réunit à White-Hall son prétendu parlement le 4 juillet 1653. Alors pour la première fois il improvisa un de ces longs discours publics qui ont ennuyé et embarrassé les historiens. Ce sont les monologues d’une conversation artificieuse et involontaire, où se montrent et se dissimulent tour à tour la politique et l’imagination d’un homme plus maître de ses desseins que de ses idées, plein de calculs et de rêveries, contraint lorsqu’il raisonne, entraîné lorsqu’il prêche, et plus jaloux de se faire croire que comprendre. Ce premier discours du trône a pour objet d’annoncer la fin du gouvernement provisoire et militaire, et une sorte d’acte constitutionnel ou d’instrument d’état, destiné à organiser les pouvoirs définitifs. À travers les divagations, les obscurités étudiées, les allusions bibliques, on aperçoit distinctement trois pensées principales. Il fallait chasser le dernier parlement, car il aurait établi la domination du parti presbytérien. Il fallait inaugurer et il faut maintenir le règne des saints, c’est-à-dire un gouvernement agréable aux puritains armés ; mais l’Angleterre doit cesser d’être sous l’autorité d’un conseil de guerre. Enfin la dernière moitié, qui n’est qu’une homélie pleine de citations de l’Écriture et presque de visions prophétiques, rappelle à tous que l’orateur lui-même est un saint, un homme de Dieu, et le recommande à ce titre, tout en conseillant, à la faveur d’un si orthodoxe langage, la tolérance religieuse. On y lit plus d’une fois en toutes lettres ce mot de tous les grands esprits dès qu’ils touchent à la toute-puissance : impartialité.

La convention à laquelle Cromwell semblait tout abandonner n’était sévère ni pour lui ni pour son usurpation ; mais elle était une assemblée anglaise, elle prenait fort au sérieux ses droits délibératifs. Elle se jeta avec ardeur dans les réformes. Elle en commença qui inquiétèrent des intérêts puissans, la cour de chancellerie, les légistes, le clergé, et, comme dans l’ordre politique elle s’était bornée à étendre un peu le conseil exécutif, Cromwell resta le plus fort