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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/1137

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que rigoureusement possible, et nécessitait un concours de circonstances tout à fait en dehors des données communes. Dans l’autre supposition, beaucoup plus probable, — celle de l’officier de police, — le pauvre marin avait dû être attiré par quelque sirène de bas étage dans un de ces affreux traquenards où elles conduisent si fréquemment leurs victimes. Là, soit qu’on découvrit, soit que l’on connût d’avance l’importance des valeurs que John portait sur lui, des hommes apostés avaient entrepris de le dépouiller, et dans la lutte engagée entre eux, ils l’avaient frappé à mort. Le caractère hasardeux de John, l’imprudence proverbiale des marins, et l’irrésistible pouvoir de certaines tentations sur ceux qui débarquent à Londres prêtaient, il faut bien le dire, une grande vraisemblance à cette seconde version.

Restait une circonstance qu’il ne faut pas omettre : — la présence à Londres de cet individu, plus ou moins lié avec John, qui l’avait accompagné à. Drury-Lane, avec lequel il avait pris rendez-vous, à heure fixe, pour le lendemain matin, et dont, après la disparition du jeune marin, personne n’entendit parler. Ce fut pour Grimaldi un long regret, un remords presque ineffaçable que de n’avoir pas assez attentivement considéré l’étranger pour se rappeler ses traits et le reconnaître au besoin. Peut-être en effet, si on était parvenu à mettre la main sur cet inconnu, les recherches eussent-elles été plus sûrement dirigées ; mais tout ce que Grimaldi, dans ce moment d’émotion, avait pu remarquer de lui, c’est qu’il était vêtu à peu près comme son frère. Il se rappelait surtout qu’ils portaient tous deux un gilet de piqué blanc, ce qui lui fut confirmé par le concierge du théâtre et par plusieurs autres personnes qui avaient vu, elles aussi, les deux étrangers sous le péristyle. En somme, quand on se rappelle sur quel pied de familiarité ils paraissaient être l’un vis-à-vis de l’autre, et ce rendez-vous donné pour le lendemain matin, « à dix heures bien précises, » on ne peut aisément accepter l’idée que, si John avait disparu à l’insu ou sans la complicité de son compagnon inconnu, celui-ci ne fût pas venu s’informer, auprès de Grimaldi, de ce qui avait pu retenir son frère. En l’absence de toute démarche à cette fin, et si on rapproche une si étonnante insouciance de quelques autres indices significatifs, — par exemple l’espèce de répugnance que John avait semblé manifester à conduire chez lui son mystérieux acolyte, à le garder avec lui au théâtre pendant le reste de la soirée, à le présenter par son nom, selon l’usage, à Grimaldi, mis pour la première fois en face de cet homme, — on en vient aisément à conclure que ce devait être une de ces « mauvaises connaissances » comme les marins en font tant, et de cette première donnée a soupçonner l’inconnu d’avoir trempé dans quelque complot organisé pour