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d’esprit que ne trouble le souvenir d’aucun bienfait ni celui d’aucune injure. Du fond d’une retraite où n’arrive pas le bruit des passions, nous nous sommes efforcé de juger l’œuvre de Napoléon, comme s’il s’était agi d’apprécier celle d’Alexandre ou de Charlemagne. Nous avons entrepris cette étude, assuré de rencontrer jusqu’au bout cette respectueuse liberté de l’histoire qui fait l’honneur même, des grands hommes. — Nous avons vu le général Bonaparte au début de sa miraculeuse carrière, arrivant au jour marqué couvert et protégé par les prestiges de cet Orient d’où viennent toutes les grandes gloires[1]. Nous l’avons montré acceptant en 1709 une tâche que toutes les intelligences élevées et tous les cœurs honnêtes semblaient lui avoir déléguée par avance. Débarrassant la France de toutes les corruptions et de toutes les impuissances, il réforma les institutions sans les abolir, et dégagea dans la révolution française ce qu’elle aura de principes éternellement légitimes et de souvenirs éternellement odieux. Pour lui, les jours sont des siècles. Il substitue le droit commun à l’arbitraire, et fait cesser toutes les proscriptions ; il convoque à ses côtés, comme leur supérieur légitime, tous les esprits éminens sans distinction d’origine ; il rétablit la confiance dans la nation et dans l’année, fonde le crédit, réorganise l’administration, donne une institution nouvelle à la magistrature, et tandis qu’il opère toutes ces grandes choses, il offre à l’Europe une paix que celle-ci refuse sans soupçonner le prix dont elle va bientôt la payer. Il conquiert enfin, en domptant la nature, ce bien qui était le vœu de tous, sans être avant lui l’espérance de personne : il impose par la victoire la paix continentale et maritime et le monde se repose un moment par admiration autant que par crainte. L’auteur des traités de Lunéville et d’Amiens profite alors de toute sa puissance pour rattacher la France à la civilisation chrétienne, dont elle avait honteusement déserté la tradition. Il porte à toutes les révoltes de l’orgueil le plus terrible coup qui les ait atteintes dans aucun siècle, et la nation, réconciliée avec le ciel, un moment en paix avec toute la terre, s’incline devant Auguste et lui confie ses destinées.

Mais de tels succès sont plus périlleux que les plus formidables revers. Le grand capitaine ne résiste ni à sa fortune, ni aux irritations dont l’agacent d’obscurs ennemis : par l’interprétation qu’il donne bientôt au traité, demeuré le fondement le plus solide de sa gloire, il prépare de sa propre main les liens d’une nouvelle coalition, et il va couper à Vienne avec son épée le nœud qu’il devra successivement trancher à Iéna, à Friedland, à Wagram et à Moscou.

  1. Napoléon.