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ses joies comme dans ses souffrances; ils pénètrent dans son âme non pour lui souffler la colère, mais pour l’épurer et l’aider à garder « à l’abri du mal sa belle page blanche, » selon le mot de l’auteur De l’Aveugle. La langue de Jasmin d’ailleurs heureusement ne se prêterait guère aux destructions, elle qui se flatte de son ancienneté et qui y tient. Des souvenirs de sa pauvreté et de sa condition première, le poète méridional n’a tiré qu’une inspiration sympathique et généreuse, disant aux pauvres : Voyez la charité du riche ! et aux riches : Secourez ceux qui souffrent; « la grande couvée des pauvres se réveille le rire à la bouche quand elle s’endort sans avoir faim ! » Aussi, quant à lui, est-il toujours prêt à partir au premier appel pour concourir à cette œuvre. Il n’est point de ville où il n’ait élevé la voix pour les pauvres, et il y a vingt ans déjà que cette vie dure : charité active, ingénieuse, qui jette une sorte de lumière morale sur ses pérégrinations!

Un jour, le curé d’une petite paroisse du Périgord, du village de Vergt, voit son église tomber en ruines; le souci du bon pasteur est de savoir comment il la relèvera. L’idée lui vient d’appeler Jasmin à son aide, et tous deux aussitôt ils commencent leur pèlerinage; ils parcourent le midi, s’arrêtant dans chaque ville, le poète récitant ses vers, — le Prêtre sans église, l’Eglise qui tremble, l’Eglise découverte, — le prêtre quêtant à la suite du poète. Bientôt cependant le but est à demi atteint, une église nouvelle s’élève, et le jour où elle doit être bénite en présence de six évêques, de trois cents prêtres, et de toutes les populations des environs, qu’arrive-t-il ? Au moment où l’un des prélats va prêcher sur l’infinité de Dieu, il entend un des morceaux de Jasmin, le Prêtre sans église, et en entendant ces vers touchans, il laisse de côté le sujet de son choix pour prendre l’idée que vient de lui suggérer le poète. Une autre fois, c’est en 1846, l’hiver sévit, la misère est grande et universelle; partout on redoute les cruels emportemens de la faim, mauvaise conseillère. Jasmin part encore et se multiplie, tendant la main en faveur des malheureux, fortifiant le pauvre dans son honnêteté, éveillant de tous côtés la charité féconde, et exprimant cette pensée de conciliation généreuse dans une de ses pièces les plus remarquables, Riche et Pauvre ou les Prophètes menteurs. Il suffit de rappeler ces scènes singulières et touchantes qui se renouvellent tous les jours.

En aidant à construire des églises et en faisant de la bienfaisance une muse, Jasmin est vraiment un poète populaire dans le sens moderne et élevé de ce mot, parce qu’il exprime le sentiment religieux des masses et qu’il contribue à ôter à la misère du peuple son aiguillon, — la haine. Si c’est là, dans la réalité, un des épisodes les plus touchans de la vie de Jasmin, littérairement il a été