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l’immense débouché de l’Angleterre elle-même. Encore aujourd’hui, malgré l’accroissement de la consommation locale, il se fait un grand commerce d’exportation des denrées agricoles écossaises pour les marchés anglais. Des pâturages du Gallovvay et du Forfarshire, du fond même des Highlands, descendent tous les ans par milliers des bestiaux jeunes qui vont grandir et s’engraisser dans les herbages du sud. On voit arriver jusque sur les marchés de Londres, où ils sont très recherchés pour la qualité de leur chair, des bœufs west-highlands au poil hérissé, des bœufs noirs d’Angus, des bœufs sans cornes du Galloway, bien reconnaissables à leurs caractères nationaux. Ainsi viennent par caravanes mourir dans les abattoirs de Paris les bœufs rouges d’Auvergne, les bœufs blancs du Charolais, les bœufs bruns de la Vendée, les bœufs roux du Limousin, bien faciles à distinguer au milieu des races bariolées de la Normandie et de la Bretagne. L’Ecosse envoie en outre à l’Angleterre une grande partie du froment qu’elle produit, et ne se réserve guère que l’avoine et l’orge. Elle lui a ainsi vendu depuis cent ans pour des milliards.

Mais le plus beau présent que l’Angleterre ait fait à l’Ecosse, en l’unissant à elle, parce qu’il comprend à lui seul tous les autres, c’est sa constitution et son esprit politique, L’Ecosse a été jusqu’à 1750 la forteresse du régime féodal, elle n’a commencé à ouvrir les yeux qu’après la bataille de Culloden ; mais le sentiment d’un ordre meilleur fit de rapides progrès chez elle, et cinquante ans après, aucune partie de la Grande-Bretagne n’était plus attachée à la maison de Hanovre, personnification de la liberté moderne. Ce peuple, si longtemps fidèle à ses traditions hiérarchiques, s’est trouvé tout à coup, au contact des mœurs et des lois anglaises, un des plus propres à comprendre les bienfaits de l’indépendance individuelle et de l’ordre volontaire. Il a même été du premier coup plus loin que l’Angleterre elle-même ; on peut dire que, sous le rapport politique, l’Ecosse est l’Angleterre perfectionnée. Nulle part en Europe l’appareil gouvernemental et administratif n’est moindre ; il faut aller jusqu’en Amérique pour trouver une pareille simplicité. La centralisation administrative, cette méthode si vantée, qui rançonne les trois quarts de la France au profit de l’autre quart, et qui étouffe partout l’initiative personnelle ou locale, y est absolument inconnue ; les fonctionnaires sont peu nombreux, et pour la plupart gratuits. Aucun des abus qui se sont perpétués en Angleterre par la puissance de l’habitude n’a pu s’y établir. Cette église nationale dont l’entretien absorbe dans le reste du royaume-uni plus de 200 millions de dîmes n’y existe pas ; les taxes de paroisse et de comté ont été réduites au strict nécessaire ; la taxe des pauvres, récemment introduite, n’a pas que peu de développement, et pour tout dire en un mot, la somme des impôts de tout genre payés directement par le sol, qui atteint en