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glens de pâturages d’hiver. Même dans les longues nuits, les troupeaux restent exposés à toutes les intempéries, sans autre abri que quelques rares bouleaux; seulement, en octobre, on les enduit quelquefois d’un mélange de beurre et de goudron pour les défendre contre l’extrême humidité. Quant aux habitans, il n’y en a plus. Si quelque descendant des anciens montagnards paraît encore çà et là, assis sur un roc, vêtu de son plaid traditionnel et jouant sur sa cornemuse l’air mélancolique de quelque ballade, ce n’est plus un soldat, c’est un berger; il ne vit plus de guerre et de pillage, mais des gages que lui donne le fermier voisin. C’est à peine s’il sait encore quelques-unes des histoires guerrières de sa tribu; en revanche, il vous dira si l’agnelage a été heureux cette année et si les laines se vendent bien. Voilà tout ce qui reste d’une race éteinte. Un de ces bergers suffit pour 500 bêtes; on en compte en tout 4 ou 500 disséminés sur 300,000 hectares.

L’histoire du Sutherland est plus ou moins celle de tous les Highlands. Presque partout où l’antique population a pu être déplacée, ce sont des moutons qui lui ont succédé. Quand le sol devient un peu meilleur, la dépopulation est moins complète : on cultive un peu d’avoine et de turneps autour des fermes et on ajoute aux moutons des bêtes à cornes. Ce bétail, bien connu sous le nom de West-Highlands, hautes terres de l’ouest, n’est autre chose que l’ancienne race du pays, qui a gagné, grâce à des soins de tous genres, une extrême ampleur de chair et une rare aptitude à l’engraissement. Les voleurs de bœufs de Waverley auraient peine à reconnaître, s’ils renaissaient aujourd’hui, dans ces masses animées, les descendans de ces petites bêtes qu’ils poussaient devant eux au retour de leurs excursions, et qu’ils cachaient par centaines dans leurs cavernes. Un seul pèse autant que cinq ou six d’autrefois. C’est Archibald, duc d’Argyle, qui, vers le milieu du siècle dernier, a commencé l’amélioration de ces bœufs, qui paraît aujourd’hui à son apogée. Velus comme des ours, d’une couleur noire ou brune plus ou moins foncée, ils ont encore, au premier abord, une mine sauvage parfaitement appropriée aux lieux où ils vivent; mais leur démarche lourde et leur œil paisible montrent bientôt qu’eux aussi ont perdu leur ancienne rudesse, et qu’ils n’ont rien de commun avec leurs frères violens d’Andalousie, élevés pour le combat. Rien n’a été changé quant aux conditions générales de leur régime. Ils ne mettent, pas plus que les moutons, le pied dans une étable, passent comme eux au grand air les nuits comme les jours, les hivers comme les étés, et ne reçoivent guère d’autre nourriture que celle qu’ils recueillent sur ces montagnes, où la main de l’homme n’a rien semé.

La nation britannique a les mœurs rudes, elle fait les choses