Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/267

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Afin de le tenter aussi par l’appât d’un plus grand intérêt, il lui proposa une des sœurs du roi de France en mariage, avec une dot de 2 ou 300,000 florins, la solde de 200 chevaux pendant toute sa vie, pour la garde de son pays et le dédommagement des pertes qu’il pourrait éprouver s’il était attaqué à cause de son vote[1]. Il informa en même temps François Ier de tout ce qui se passait. Ce prince prit résolument son parti : il écrivit à Bonnivet que si l’élection n’était pas encore terminée, et si lui et ses amis dans Francfort voyaient qu’il était impossible de la faire tourner en sa faveur, ils missent tous leurs soins à empêcher le roi catholique d’être nommé empereur. Il lui prescrivait dans ce cas de faire porter les voix dont il disposait sur un prince allemand, de préférer le margrave de Brandebourg à tout autre à cause de l’amitié qu’il avait pour lui, et si le margrave de Brandebourg n’était pas possible non plus, de se replier sur le duc Frédéric de Saxe, vers lequel penchait l’électeur de Trêves, d’exiger de celui des deux qui serait ainsi nommé l’assurance qu’après avoir été couronné empereur, il solliciterait pour lui-même le titre de roi des Romains, et si le duc de Saxe s’y refusait, de le faire élire sans condition, afin d’écarter à tout prix du trône impérial le roi catholique, dont l’élévation aurait tant de danger pour lui[2].

C’est ce que François aurait dû faire depuis longtemps. Son intérêt n’était pas d’être élu. S’il l’avait été, il s’en serait bientôt repenti. Il aurait excité la défiance et l’indocilité de l’Allemagne, les mécontentemens de la France, et peut-être à la longue sa rébellion, la jalousie, l’union et l’hostilité de tous les souverains. Les forces de son royaume, déjà détournées de leur emploi régulier par les guerres d’Italie, qui laissaient ses frontières naturelles imparfaites et son organisation intérieure inachevée, seraient allées se perdre encore et s’épuiser en Allemagne. L’empire l’aurait réellement affaibli et infailliblement embarrassé. Il fallait dès lors qu’il se bornât à empêcher le roi catholique de l’obtenir. L’affermissement de sa position en Italie l’exigeait tout comme la sécurité de son royaume. Héritier unique des quatre puissantes maisons de Bourgogne, d’Autriche, de Castille, d’Aragon, le roi catholique était devenu le possesseur universel de leurs états et le représentant redoutable de leurs vieilles animosités contre la France. Il importait avant tout à François Ier que ce prince ne joignît point à l’Autriche, aux Pays-Bas, à l’Espagne, à la Sicile, à Naples, la couronne impériale. Or, pour l’empêcher d’acquérir ce surcroît de puissance et d’ajouter la suzeraineté de Milan à toutes les causes de

  1. Lettre de l’amiral Bonnivet au comte palatin du 24 juin. Mss. de La Mare 10330/3, f° 170, et autre lettre qu’il lui écrit en allemand, et dans laquelle il lui dit : « Je monstrays à vostre chancellier troys scellez que j’avoye, et vous qui faisiez le quart, qui estoit la senreté de notre affaire. »
  2. Lettres de François Ier à ses ambassadeurs, du 26 juin. Ibid., f° 95-96.