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la liberté florissante et qui a grandi pour lui survivre, vous vous souvenez sans doute encore avec quel enthousiasme sincère, avec quel ravissement d’imagination et de cœur, nous suivions dans les livres de M. Thierry les péripéties des communes de Laon, de Vézelay, de Beauvais, d’Amiens, tous ces petits chefs-d’œuvre de récit, parés à la fois des grâces de l’art et des vives couleurs de la réalité ! Ces leçons d’histoire avaient pour nous tout le charme d’un roman, mais elles avaient aussi un sens plus profond, que nous aimions à recueillir. Nous nous plaisions à reconnaître que le fait le plus ancien de notre histoire civile, la première apparition de la nation politique, avait un caractère franchement et profondément libéral. Nous retrouvions avec joie dans ces fondateurs de communes de vrais citoyens, des serviteurs et souvent des martyrs d’une liberté d’autant plus pure peut-être que son théâtre était plus restreint, et ses prétentions plus modestes. Dans ces chartes du XIIe siècle, dont le nom même plaisait à nos oreilles, nous aimions à retrouver le vote populaire des contributions, la milice urbaine, les délibérations publiques et communes, tous les germes de la liberté politique. Dans nos convictions, alors candides, ce n’était pas sans plaisir que nous entendions parler dès le moyen âge de constitutions jurées et de parjures punis. Ceux d’entre nous qui ont pris leur parti des vicissitudes du temps, et que les soins ou les profits d’une carrière à suivre consolent des illusions perdues, trouveront bien ces impressions-là logées quelque part encore dans un coin de leur mémoire.

Il est donc incontestable que le premier acte viril du tiers-état dans notre histoire fut un acte de liberté. L’émancipation communale du XIIe siècle fut l’affaire propre de la bourgeoisie naissante, de l’honnêteté et de la vigueur de ses réclamations, de l’usage habile qu’elle sut faire des premières richesses acquises par son industrieuse économie. Heureuse dès lors si elle avait su garder comme elle savait conquérir ! M. Thierry nous a donné une monographie très détaillée et très curieuse de la commune d’Amiens, où l’on voit une constitution écrite, en plus de cent articles, comme une vraie charte de nos jours, établissant toute une république au petit pied, avec haute, moyenne et basse justice, libre administration des propriétés, libre perception des contributions locales, le tout remis à un échevinage électif qui rendait des arrêts scellés du sceau de ses armes. Cette constitution a été en vigueur cinq cents ans ! Si une telle organisation eût été, avec quelques restrictions, générale et durable, qu’elle eût été fortunée pour la France ! Quelle chaleur de vie politique et morale se fût allumée dans ces petits foyers de discussion et d’activité ! Quel utile apprentissage pour les droits d’un citoyen ! Quelle école salutaire pour les devoirs d’un magistrat ! Quel marchepied