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XIIIe et du XIVe siècle. Pour faire prendre racine à des institutions si étrangement greffées sur un sol judiciaire qui n’était pas destiné à les porter naturellement, pour transformer en droits nationaux les avantages momentanés d’un jour de bataille, il eût fallu déployer ce mélange de souplesse et d’audace qui forme le véritable esprit politique. Le parlement, au contraire, était raide et timide. Il eût fallu ménager les formes avec une royauté antique, respectée et bienfaisante, et ne tenir qu’au fond des droits sérieux et des prérogatives importantes. Le parlement au contraire, incertain du fond, n’était à son aise que dans les ornières des formes judiciaires, dans lesquelles il était accoutumé à marcher d’une allure lente et compassée. N’étant pas bien sûr d’exercer à titre légitime le pouvoir politique que les événemens lui avaient décerné, il ne se croyait en sûreté de conscience que quand il lui avait donné, dans le libellé d’un arrêt, l’autorité de la chose jugée. Pour être assuré qu’il n’usurpait pas, il fallait qu’il s’envoyât lui-même, par arrêt de justice, en possession de ses nouvelles prérogatives. Il eût fallu savoir intimider sans braver, et contenir sans offenser cette noble mère de Louis XIV, plus hautaine au fond qu’ambitieuse, et tenant plus encore à être honorée qu’obéie. Mais quelque fiers et souvent impérieux que les magistrats parussent sous la robe et le bonnet, rentrés dans leur intérieur domestique, au sein d’habitudes graves autant que modestes, auprès de ces épouses dignes et vertueuses qui n’assistaient que de loin aux splendeurs des cours, ils ne pouvaient tout à fait oublier que leurs pères n’étaient quelque chose que pour avoir été des gens du roi. Ils professaient un respect reconnaissant et souvent un peu humble pour cette couronne dont ils tenaient la solidité et l’éclat tempéré de leur existence. Quand ils avaient lu en pompe à Anne d’Autriche quelque arrêt qui la blessait au vif dans ses affections comme dans son orgueil, un sourire de l’enfant royal ou une grâce féminine faisait naître dans leur cœur de secrets remords. Ajoutez à de tels sentimens, à de tels scrupules, l’ennui que leur causaient les seuls alliés armés dont ils pussent se servir, — une noblesse frivole et une populace turbulente ; c’en fut assez pour les dégoûter eux-mêmes promptement de leur rôle, et malgré la sérénité impassible que Matthieu Molé opposait aux insultes de la foule et aux impertinences des princes, après deux ou trois ans, — quand la fronde eut pris les allures d’une tragi-comédie burlesque, — le parlement sentit qu’il y faisait le rôle ridicule d’un homme grave engagé dans une partie de plaisirs de jeunes gens, et qui la voit, le vin et l’ivresse aidant, dégénérer en orgie. Quand le guet royal enfonça la porte pour arrêter les convives, il s’empressa de sortir le premier de la salle du banquet.

Ce fut le dernier soupir, le dernier tressaillement de liberté qui ait