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impérial et s’assirent auprès de lui. Les autres mandarins se tinrent respectueusement debout entre les portes, dans l’antichambre et jusque sur l’escalier. Le reste de l’escorte s’était rangé dans la rue. Les degrés de l’église, en face de notre porte, étaient couverts de soldats et de peuple. Il y avait sous les fenêtres, comme dans l’intérieur de la maison, un spectacle curieux et pittoresque.

Le secrétaire de la légation des États-Unis, M. Webster, m’avait beaucoup parlé de Houang, qui était le diplomate délié et éloquent de la commission chinoise, de même que Ki-yng en était le grand caractère et l’homme d’état. Il m’avait vanté sa grâce, son esprit, son élégance et surtout son habileté coquette et insinuante. J’examinai donc ce personnage avec curiosité. Houang était un Chinois; il était jeune, il avait la physionomie très agréable, le regard intelligent et animé, la main petite et soignée, avec un bras efféminé qu’il montrait sans cesse quand il parlait, en le faisant sortir de sa manche par un geste habituel. Il était vêtu avec une grande recherche. Il portait une robe de soie qui aurait fait envie à la plus difficile parmi nos élégantes, avec une ceinture attachée par une pierre de jade, et à cette ceinture plusieurs petits fourreaux brodés de perles, celui-ci pour sa montre, celui-là pour son éventail, un autre pour ses bâtonnets d’ivoire. Il prenait souvent la parole, et en homme habitué à voir admirer son bien-dire. La mobilité de ses traits, la vivacité de ses gestes faisaient contraste avec l’attitude calme et l’expression à la fois affectueuse et digne du vice-roi. On voyait aisément que le vieux Tartare se sentait du sang impérial dans les veines, tandis que le jeune Chinois représentait le lettré, parvenu par les examens aux plus hautes dignités de l’empire. On disait que Houang était destiné à succéder prochainement à Ki-yng dans les fonctions de commissaire impérial. Il était bouton rouge, grand trésorier des deux Kouangs, et touchait pour cette place d’énormes appointemens.

Pan-se-tchen était un des plus riches sujets du céleste empereur. Son père, qui avait appartenu à la corporation des marchands hongs, dont le monopole a été aboli par le traité de Nankin, lui avait laissé une fortune très considérable. On disait Pan-se-tchen magnifique et voluptueux. Il aimait les Européens et avait déjà pris part aux précédentes négociations. Il était bouton rouge, c’est-à-dire mandarin d’une des plus hautes classes, et cependant il ne passait pas pour très lettré; il faut donc qu’il y ait en Chine, comme ailleurs, des accommodemens avec la sévérité des examens. Il était du reste fort versé dans les matières de douanes et de commerce, et il s’était fait une auréole de générosité en distribuant du riz, pendant une disette, au peuple de Canton. Il était jeune encore, il avait le regard noyé dans une langueur sensuelle, la bouche souriante, les dents belles et un remarquable embonpoint.