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On sait le rôle que la violette joue dans les allégories morales et sentimentales : elle est l’image de la modestie, et se cache sous l’herbe pour se dérober à tous les yeux. Eh bien ! le cloporte, d’après les commentateurs du blason, devient, comme la violette, l’emblème des vertus modestes. Il se cache dans les fentes des murs, comme la fleur dans le gazon, et sa timidité est si grande, que, ne pouvant soutenir des regards indiscrets, il se replie sur lui-même et contrefait le mort, d’où il suit que les nobles qui l’ont porté dans leur écu étaient de bonnes gens sans ambition, qui, pouvant vivre à la cour, ont mieux aimé rester tranquillement dans leurs terres. Si les anciens rois et les anciens ducs de Bourgogne ont adopté le chat malgré sa mauvaise réputation, c’est que cet animal ne fait rien par contrainte, et que, comme lui, les Bourguignons «n’ont jamais pu être forcés en leurs actions, » même par les rois de France. Le corbeau, qui présage l’hiver, la saison pluvieuse et les événemens malheureux, ne pouvant figurer à titre d’augure, prend une signification nouvelle lorsqu’il se perche, dans les tempêtes, sur la cime des grands arbres, et se laisse, immobile et calme, bercer par le vent : il apprend alors aux hommes à ne point se laisser emporter par les orages de la vie. Le renard encapuchonné, portant une oie dans sa coule monacale, comme dans les armes de la maison allemande des Schaden, nous apprend que les gens d’esprit finissent toujours par avoir raison des sots. Quant au bouc, qui personnifie la luxure, il donne à connaître que ceux qui le portent ont triomphé de cette passion.

Nous n’insisterons pas plus longtemps sur ces détails, qu’il serait facile de multiplier à l’infini. Ce que nous venons de dire montre nettement que la présence des animaux dans le blason se rattache, comme dans l’architecture religieuse, à la tradition scientifique, allégorique ou morale, consignée dans les livres par les pères, les encyclopédistes ou les poètes, et transmise au peuple par les artistes dans les représentations figurées. Comment la foule n’aurait-elle point cru à l’existence des dragons, des hydres, et d’une foule d’autres monstres, quand elle les trouvait partout, sur le portail des églises et sur les créneaux des forteresses ? Comment pouvait-elle se faire une idée précise des animaux qui ne vivaient point habituellement sous ses yeux, quand elle les voyait peints de cent manières différentes ? Comment enfin ne les aurait-elle pas regardés comme des êtres d’une nature tout à fait supérieure, quand ils étaient dans le blason les emblèmes des rois, des guerriers, et dans l’art architectural les symboles des saints, des vertus, de l’Esprit saint et du Christ ? Toutes les erreurs traditionnelles se trouvaient, on le voit, confirmées l’une par l’autre.