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se levèrent précipitamment ; Lénora poussa un cri perçant et accourut près de son père, le regard plein d’inquiétude. Celui-ci s’efforça de sourire, et dit en se levant lentement : — Ce n’est rien, l’air de cette chambre m’étouffe. Laissez-moi aller un instant au jardin, je serai bientôt remis.

En disant ces mots, il se dirigea vers la porte et descendit l’escalier de pierre qui menait au jardin. Lénora avait pris son bras et voulut le guider, bien qu’il n’eût pas besoin de ce soin. M. Denecker et son neveu accompagnèrent aussi le gentilhomme en lui témoignant un sincère intérêt.

À peine M. de Vlierbecke était-il assis, depuis quelques instans, sur un banc, à l’ombre d’un gigantesque châtaignier, que la pâleur de son visage disparut, et qu’avec un visible retour de forces il tranquillisa d’un ton dégagé sa fille et ses hôtes sur son indisposition. Toutefois il demanda qu’on le laissât quelque temps en plein air, de crainte que l’évanouissement ne revînt. Bientôt après il se leva et exprima le désir de faire une promenade.

— Cela ne me plaît pas moins qu’à vous, dit le négociant. Ma voiture vient à cinq heures, je dois me rendre en ville avec mon neveu, et j’ai failli partir d’ici sans voir votre jardin. Faisons un tour de promenade. Tout à l’heure, pour finir, nous boirons encore une bonne bouteille à notre amitié.

En disant ces mots, il offrit son bras à Lénora, qui l’accepta gaiement. Bien que M. Denecker lançât à son neveu des regards railleurs, le jeune homme n’était pas mécontent au fond de voir son oncle témoigner tant d’affection à la jeune fille.

La promenade commença. On parla d’agriculture, de défrichement des bruyères, de chasse, et de mille autres choses. Lénora, en plein air et au bras du négociant, avait recouvré sa liberté d’esprit. La gaieté naturelle de son caractère se révéla, unie au charme indicible d’une virginale ingénuité. Comme une biche folâtre, elle voulut forcer le négociant à courir ; elle sautillait à son côté avec toutes sortes d’exclamations de bonheur et de joie. M. Denecker s’amusait infiniment des saillies étourdies de la jeune fille, et il faillit se laisser persuader de danser et de jouer avec elle. Il ne pouvait assez admirer ce ravissant visage, tout rayonnant de bonheur, et se disait à lui-même, le sourire sur les lèvres, que l’avenir ne gardait pas de trop mauvais jours à son neveu.

Mais tandis que le gentilhomme était occupé à disserter avec son hôte, et dessinait un croquis sur le sable, Lénora et Gustave avaient pris les devans et semblaient s’entretenir fort sérieusement. Lorsque le père et son compagnon reprirent leur promenade, les jeunes gens avaient bien une avance d’une cinquantaine de pas. Soit par intention ou simplement par l’effet du hasard, toujours est-il que cette distance continua à se maintenir entre eux.

La jeune fille montra à Gustave ses fleurs, ses poissons dorés, et tout ce qu’elle aimait et choyait dans sa solitude. À peine entendait-il les douces et enfantines explications de la jeune fille ; ce qu’elle disait se confondait pour lui en un chant céleste qui le ravissait et lui faisait rêver d’ineffables félicités. De son côté, M. de Vlierbecke mettait tout en œuvre pour amuser son hôte et l’empêcher de revenir à table. Il appelait tour à tour à son aide toutes les ressources que lui offraient ses profondes connaissances, ne tarissait pas en récits attachans, et cherchait à pénétrer les moindres replis du caractère du négociant, pour lui mieux complaire. Il allait même jusqu’à la