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une mine qu’il met en la place de ce que l’on veut paroître au lieu de ce que l’on est ? il y a longtemps que je l’ai pensé et que j’ai dit que tout le monde estoit en masquarade, et mieux déguisé qu’à celle du Louvre, car l’on n’y reconnoit personne. Enfin, que tout soit arte di parer honesta[1] et non pas l’estre, cela est pourtant bien estrange.

« Voici de ces phrases nouvelles : la nature fait le mérite et la fortune le met en œuvre. Ces modes de parler me plaisent, parce que cela distingue bien un honneste homme qui escrit pour son plaisir et comme il parle d’avec les gens qui en font mestier.

« Mais je ne sçay si cela réussira imprimé comme en manuscrit. Si j’estois du conseil de l’auteur, je ne mettrois point au jour ces mystères qui osteront à tout jamais la confiance qu’on pourroit prendre en lui. Il en sçait tant là-dessus, et il paroist si fin, qu’il ne peut plus mettre en usage cette souveraine habileté qui est de ne paroistre point en avoir.

« Je vous dis à bâtons rompus tout ce qui me reste dans l’esprit de cette lecture. Si vous les gardez, je les lirai avec vous, et je vous en dirai mieux mon avis que je ne fais à cette heure, où je n’ai pas le temps de faire une réflexion qui vaille. Je ne pense qu’à vous obéir ponctuellement, et en le faisant, je crois ne pouvoir faillir, quelque sottise que je puisse dire. Je n’ai point pris de copie, je vous en donne ma parole, ni n’en ai parlé à personne. Je vous prie aussi de ne dire à qui que ce soit ce que je pense. J’espère avoir l’honneur de vous voir demain[2]. »


Mme de Sablé se garde bien de faire ce que lui demande Mme de Schomberg : elle communique sa lettre à tous ses amis après l’avoir arrangée à son goût et à celui de La Rochefoucauld, et elle y répond

  1. Arte di parer honesta est du Guarini dans le Pastor fido, livre que toutes les belles dames d’alors savaient par cœur et citaient sans cesse. Voici la phrase du Guarini, P. Fid. att. III, sc. V : « L’honestate attro non è che un’ rte di parer honesta. »
  2. Il reste si peu de chose de la duchesse de Schomberg, qu’on nous saura gré peut-être de tirer du Supplément français, 3029,8, deux petits billets qui se rattachent à la lettre précédente. Mme de Sablé l’avait communiquée à M. Arnauld d’Andilly, qui en fut charmé, et fit partout l’éloge de Mme de Schomberg. Celle-ci, alors malade, recevant quelques lignes de Mme de Sablé, où elle lui demandait des nouvelles de sa santé et lui disait un mot de M. d’Andilly, s’empressa de lui répondre de sa main le billet suivant, sur la feuille même qui lui avait été envoyée : « Bon Dieu ! quel avantage l’on a d’estre louée de vous ! Cela fait qu’on passe dans le monde pour tout ce que l’on n’est point. Ce bon homme, M. d’Andilly, n’a point pris la peine de rien penser après vous, ce qui est cause qu’il me traite d’une si admirable créature ; car sur quoi juger que j’ai de si belles qualités que sur ce que vous lui avez dit ? Si j’osois, je me plaindrois de cette excessive bonté. Si vous lui aviez parlé vingt fois moins avantageusement, il ne lui seroit pas venu dans l’esprit tant de si grandes choses dont je demeure accablée de confusion, et très reconnoissante des bontés que vous avez pour moi, qui ne suis pas mieux que quand j’eus l’honneur de vous aller voir. Je ne suis sortie que pour aller chez Mme de Louvois (nièce de Mme de Sablé). Vous jugez bien que je ne puis avoir de santé, puisque je n’ai pas la satisfaction d’aller moi-mesme vous dire de mes nouvelles. Si j’osois, je vous supplierois de brider la lettre de M. d’Andilly pour son honneur, car si on la voyoit, cela feroit voir que c’est un homme qui se prévient sans se servir de son jugement et de sa considération ; car, s’il s’en étoit servi, il eût dû voir si vous ne railliez point, quand vous lui avez parlé de moi. Je crois tout de bon que c’est pour cela que vous lui en avez dit du bien, afin de voir jusques où tous le pourriez faire aller sans faire aucune réflexion. Vous devez être contente de sa foy, car elle ne peut pas aller plus loin (une ligne illisible)… La paix de M. d’Andilly et de vous fera finir vos commerces ; c’est un dommage tout à fait grand, car cela vous eût fait dire à tous deux des merveilles. Votre lettre, sans faire la louangeuse, est tout autrement belle que la sienne, etc. » — Autre billet de Mme de Sablé à Mme de Schomberg : « À Mme de Schomberg, 3 juillet 1663. Hélas ! mon adorable madame, vous estes donc malade ! Je vous envoyé M. Valant afin que vous en disposiez comme moi-même, pour vous servir comme il me sert dans mes frayeurs, qui sont aussi grandes pour vos maux que pour les miens, car vostre vie m’est toute précieuse. » Réponse de Mme de Schomberg : « Vos extrêmes bontés me touchent si vivement, qu’il est impossible de dire le ressentiment que j’en ai. Je pourrois dire sans exagération que je passerois la comparaison des courtisans de Rome, qui appellent une apostille de la main du cardinal patron, dans une lettre d’un secrétaire, un saint beaume qui la parfume tout entière. J’espère de même que le billet que vous me faites l’honneur de m’écrire fera plus d’effet et de bien que toute la science d’Esculape et de Galien. M. Valant est trop raisonnable pour n’en tomber pas d’accord. Voilà qui feroit un grand chapitre, si on le vouloit approfondir. Je vous rends de très humbles grâces de la bonté avec laquelle vous m’avez envoyé M. Valant, dont je suis fort contente, bien qu’il m’ait ordonné une saignée à laquelle je me soumets, quelque répugnance que j’y puisse avoir. Il me semble qu’ayant votre approbation, cela doit me faire passer par-dessus toutes mes aversions. »