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j’ai eu toutes les peines du monde à la reconnoître au milieu de tout ce qui la précède et qui la suit. C’est assurément pour faire pratiquer cette vertu aux personnes de notre sexe que vous faites des maximes où leur amour-propre est si peu flatté. J’en serois bien humiliée en mon particulier, si je ne me disois à moi-mesme ce que je vous ai déjà dit dans ce billet, que vous jugez encore mieux du cœur des hommes que de celui des dames, et que peut-estre vous ne savez pas vous-mesme le véritable motif qui vous les fait moins estimer. Si vous en aviez toujours rencontré dont le tempérament eust été soumis à la vertu et les sens moins forts que la raison, vous penseriez mieux d’un certain nombre qui se distingue toujours de la multitude, et il me semble que Mme de La Fayette et moi méritons bien que vous ayez un peu meilleure opinion du sexe en général. Vous ne ferez que nous rendre ce que nous faisons en votre faveur, puisque malgré les défauts d’un million d’hommes nous rendons justice à votre mérite particulier, et que vous seul nous faites croire tout ce qu’on peut dire de plus avantageux sur votre sexe. »


Réponse du duc de La Rochefoucauld à madame de Rohan.

« Quelque déférence que j’aye à tout ce qui vient de vous, je vous assure, madame, que je ne crois pas que les maximes méritent l’honneur que vous leur faites. Je me défie beaucoup de celles que vous n’entendez pas, et c’est signe que je ne les ai pas entendues moi-mesme. J’aurai l’honneur de vous en dire ce que j’en ai pensé dans un jour où deux, et de vous assurer que personne du monde, sans exception, ne vous estime et ne vous respecte tant que moi. »


Enfin, et c’est là le dernier témoignage que nous citerons contre La Rochefoucauld, Mme de La Fayette, son amie, car l’intime liaison est à peu près vers ce temps-là, pense des Maximes comme Mme de Schomberg et Mme de Maure, et elle le dit assez nettement dans un petit billet à Mme de Sablé, déjà publié en partie, mais que nous donnons tout entier pour augmenter le trésor des lettres trop peu nombreuses de Mme de La Fayette :


« Vous me donneriez le plus grand chagrin du monde si vous ne me montriez pas vos Maximes. Mme Du Plessis[1] m’a donné une curiosité estrange de les voir, et c’est justement parce qu’elles sont honnestes et raisonnables que j’en ai envie, et qu’elles me persuaderont que toutes les personnes de bon sens ne sont pas si persuadées de la corruption générale que l’est M. de La Rochefoucauld. Je vous rends mille et mille grâces de ce que vous avez fait pour ce gentilhomme ; je vous en irai encore remercier moi-mesme, et je me servirai toujours avec plaisir des prétextes que je trouverai pour avoir l’honneur de vous voir ; et si vous trouviez autant de plaisir avec moi que j’en trouve avec vous, je troublerois souvent votre solitude[2]. »

  1. Isabelle de Choiseul, fille puînée de Charles, marquis de Praslin, maréchal de France, et femme de Henri de Guénegaud, soigneur du Plessis et garde des sceaux. C’était une personne de beaucoup de mérite, fort liée avec Mme de La Fayette et Mme de Sévigné.
  2. Ces derniers mots rappellent la plainte de Mme de La Fayette dont nous avons parlé au commencement de cet article.