Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/503

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’ombre. Le vie siècle fut pour les races celtiques ce moment poétique d’éveil et de première activité. Le christianisme, jeune encore parmi elles, n’a pas complètement étouffé le culte national ; le druidisme se défend dans ses écoles et ses lieux consacrés ; la lutte contre l’étranger, sans laquelle un peuple n’arrive jamais à la pleine conscience de lui-même, atteint son plus haut degré de vivacité. C’est l’âge de tous les héros restés populaires, de tous les saints caractéristiques de l’église bretonne ; c’est enfin le grand âge de la littérature bardique, illustré par les noms de Taliésin, d’Aneurin, de Liwarc’h-Hen.

À ceux qui verraient avec quelques scrupules manier comme historiques ces noms à demi fabuleux, et qui hésiteraient à accepter comme authentiques des poèmes arrivés jusqu’à nous à travers une si longue série de siècles, nous répondrons qu’aucun doute sur ce point n’est plus possible, et que les objections dont W. Schlegel se fit l’interprète contre M. Fauriel ont complètement disparu devant les investigations d’une critique éclairée et impartiale[1]. Cette fois, par une rare exception, l’opinion sceptique s’est trouvée avoir tort. Le VIe siècle, en effet, est pour les peuples bretons un siècle parfaitement historique. Nous touchons cette époque de leur histoire d’aussi près et avec autant de certitude que l’antiquité grecque ou romaine. On sait, il est vrai, que jusqu’à une époque assez moderne, les bardes continuèrent à composer des pièces sous les noms devenus populaires d’Aneurin, de Taliésin, de Liwarc’h-Hen ; mais aucune confusion n’est possible entre ces fades exercices de rhétorique et les morceaux vraiment authentiques qui portent le nom de ces poètes, morceaux pleins de traits personnels, de circonstances locales, de passions et de sentimens individuels.

Telle est la littérature dont M. de La Villemarqué a voulu réunir les monumens les plus anciens et les plus authentiques dans ses Bardes bretons du sixième siècle. Le texte de ces anciens poèmes était publié depuis longtemps dans l’Archéologie de Myvyr ; M. de La Villemarqué l’en a extrait, et a essayé pour la première fois de le traduire. Certes, en face des immenses difficultés du sujet, si nous avions un reproche à adresser au savant éditeur, c’est bien moins de ne les avoir pas toutes résolues que d’avoir cru trop facilement les résoudre. Ici, comme dans presque tous ses travaux, M. de La Villemarqué, exclusivement préoccupé de la Bretagne française, ne semble pas avoir assez reconnu que la littérature du pays de Galles constitue au milieu des études celtiques un monde à part, et exige des re-

  1. Ceci ne s’applique pas évidemment à la langue de ces poèmes. On sait que le moyen âge, étranger à toute idée d’archéologie, rajeunissait les textes à mesure qu’il les copiait, et qu’un manuscrit en langue vulgaire n’atteste ordinairement que la langue contemporaine de celui qui l’a copié.