nations ne seraient bonnes qu’à rendre un peu plus supportables bien des souffrances, pour lesquelles on déclare n’avoir point de remède, ce serait déjà quelque chose. Qui osera dire où est ici-bas la limite de la raison et du songe ? Lequel vaut mieux des instincts Imaginatifs de l’homme ou d’une orthodoxie étroite qui prétend rester sensée en parlant des choses divines ? Pour moi, je préfère la franche mythologie, avec ses égaremens, à une théologie si mesquine, si vulgaire, si incolore, que ce serait faire injure à Dieu de croire qu’après avoir fait le monde visible si beau, il eût fait le monde invisible si platement raisonnable.
En présence des progrès de plus en plus envahissans d’une civilisation qui n’est d’aucun pays, et ne peut recevoir d’autre nom que
celui de moderne ou européenne, il serait puéril d’espérer que la
race celtique arrive dans l’avenir à une nouvelle expression de son
originalité. Et pourtant nous sommes loin de croire que cette race
ait dit son dernier mot. Après avoir usé toutes les chevaleries dévotes
et mondaines, couru avec Pérédur le saint Graal et les belles, rêvé
avec saint Brandan de mystiques Atlantides, qui sait ce qu’elle produirait dans le domaine de l’intelligence, si elle s’enhardissait à faire
son entrée dans le monde, et si elle assujétissait aux conditions de la
pensée moderne sa riche et profonde nature ? Il me semble que de
cette combinaison sortiraient des produits fort originaux, une manière fine et discrète de prendre la vie, un mélange singulier de
force et de faiblesse, de rudesse et de douceur. Peu de races ont eu
une enfance poétique aussi complète : mythologie, lyrisme, épopée,
imagination romanesque, enthousiasme religieux, rien n’a manqué
aux Celtes ; pourquoi la réflexion leur manquerait-elle ? L’Allemagne,
qui avait commencé par la science et la critique, a fini par la poésie ; pourquoi les races celtiques, qui ont commencé par la poésie,
ne finiraient-elles pas par la critique ? De l’une à l’autre, il n’y a
pas si loin qu’on le suppose ; les races poétiques sont les races philosophiques, et la philosophie n’est au fond qu’une manière de poésie
comme une autre. Quand on songe que l’Allemagne a trouvé, il y a
moins d’un siècle, la révélation de son génie, qu’une foule d’individualités nationales qui semblaient effacées se sont relevées tout à
coup de nos jours plus vivantes que jamais, on se persuade qu’il est
téméraire de poser une loi aux intermittences et au réveil des races,
et que la civilisation moderne, qui semblait faite pour les absorber,
ne sera peut-être que leur commun épanouissement.