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la charmante Nisbé était le fruit de cette union mystérieuse. Sa mère lui avait légué le don funeste de ne jamais mourir, et peut-être aussi un cœur sensible et trop disposé à se laisser toucher par un homme que la destinée avait placé si loin d’elle. En recevant l’ordre de son père de ne plus voir Silvio, Nisbé en fut tout attristée. Un voile sombre s’étendit sur sa vie, jusque-là si douce et si sereine. Dans l’excès de sa douleur, Nisbé suppliait sa mère d’arrêter le nombre de ses jours. — Bienheureuses les femmes, disait-elle, que la mort vient arracher aux peines de leur cœur car, sans amour, l’immortalité est le plus cruel des supplices. O ma mère, tranche le fil de ma vie, transforme-moi en une fleur des champs, en un arbre de la forêt, ou bien fais de moi et de Silvio deux oiseaux du ciel, pour que nous puissions nous aimer en libellé.

Soulagée par cette prière, Nisbé s’endormit. La déesse, touchée du sort de sa fille, lui envoya des rêves consolateurs qui lui firent espérer une délivrance prochaine. Le lendemain Nisbé, se trouvant moins rigoureusement surveillée, quitta furtivement le palais de son père et courut auprès de Silvio. Leur joie à tous deux fut extrême. Assis l’un près de l’autre, ils se comblaient des plus chastes caresses de l’amour, lorsqu’ils aperçurent des gardes du roi qui venaient à eux : — Idole de mon âme! s’écria tout à coup Nisbé, tu le vois, il faut nous quitter. Les hommes sont jaloux de notre bonheur, et il n’y en a plus pour nous sur cette terre; mais, console-toi, une voix secrète me dit que nous nous revenons ailleurs... — Et Silvio vit alors s’échapper de ses bras palpitans une blanche colombe qui s’envola vers les cieux. Il resta immobile d’étonnement et de frayeur. Les mains levées comme pour saisir l’objet adoré, sa langue ne put proférer une parole. L’histoire ajoute que les dieux, touchés de la douleur de ce jeune mortel, changèrent Nisbé en une étoile charmante, la plus belle de la voûte céleste, celle qui se lève avant l’aurore, qui se couche la dernière pour servir de flambeau aux amans heureux, et qu’on appelle depuis lors l’étoile du berger.

La légende qu’on vient de lire, et que Giacomo avait racontée dans toute la naïveté de son âme, était très répandue dans les provinces de la république de Venise. C’est un commentaire de ces vers bien connus du premier livre de l’Enéide :

Antenor potuit mediis elapsus Achivis
Illyricos penetrare sinus…..

dans lesquels le poète latin raconte l’histoire d’Anténor, qui pénétra heureusement dans le golfe d’Illyrie, s’avança jusqu’au fond du royaume des Liburniens, où il fonda la ville de Padoue, qui devint le refuge des Troyens fugitifs. Ce conte, où se mêlent et