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tristesse remplissait les cœurs, lorsque, Giacomo frappant quelques accords sur sa vieille guitare, les trois mages se mirent à chanter une naïve complainte, en continuant leur chemin. Cette complainte était un fragment d’une litanie de Lotti, célèbre compositeur vénitien du commencement du XVIIIe siècle, et dont la mélodie suave s’était égarée dans les contrées riantes des bords de la Brenta, où elle avait été apportée sans doute par quelque noble dame, et y avait germé, comme ces grains de semence que laissent tomber les oiseaux voyageurs, messagers dociles d’une volonté mystérieuse. La mélodie de Lotti, arrangée à deux parties par une main inconnue, était très populaire dans les provinces de terre-ferme, où elle passait pour un de ces chants naïfs qui semblent s’exhaler de la terre féconde comme les parfums de l’aubépine en fleurs. Giacomo était chargé de rendre la partie de basse, tandis que Zina et Lorenzo chantaient à l’unisson la partie de soprano. Voici quelles étaient les paroles de ce charmant noël :


« Étoile mystérieuse, dont nous suivons depuis si longtemps les traces mobiles et toujours nouvelles, conduis-nous enfin vers le berceau de l’enfant qui a été promis au monde pour la félicité des hommes. Avertis par ta clarté propice, nous venons des extrémités de l’Orient pour adorer le Christ annoncé par les prophètes, et nous lui apportons de l’or, de l’encens et de la myrrhe, ce que renferme de plus précieux le pays de nos pères. Courbés sous le fardeau des ans, nous venons à toi, enfant miraculeux, pour que tu dissipes les ténèbres qui nous enveloppent de toutes parts, pour que tu arraches de nos cœurs flétris ce doute funeste, que nous a légué le génie du mal. Sois mille fois béni, ô roi d’Israël. Que ta lumière s’élève sur l’abîme de nos misères, que ta parole sainte purge nos âmes souillées et qu’elle nous réconcilie avec le Dieu créateur! Christ rédempteur, que ton nom soit béni à jamais! »


La voix mordante de Giacomo, celles plus agréables de Zina et de Lorenzo, harmonieusement groupées ensemble, s’exhalaient ainsi en doux accords, pendant que le cortège continuait sa marche et que les mages entraient dans chaque maison un peu importante qu’ils trouvaient sur leur chemin, ils y étaient reçus avec une pieuse cordialité, et ils allaient se prosterner, dans un coin de l’étable, aux pieds de l’enfant Jésus couché dans la crèche et entouré de la Sainte famille.

Après ces diverses stations, les mages reprirent le cours de leur pèlerinage, jusqu’à ce qu’ils fussent arrivés devant la grille d’un château, où ils furent introduits par un domestique en livrée. On les conduisit dans un grand salon, rempli de seigneurs et de nobles dames, Giacomo salua humblement la compagnie, et, après avoir frappé sur sa vieille guitare les deux seuls accords qui lui fussent familiers, tous les trois recommencèrent à chanter le noël dont nous avons traduit les paroles. La noble compagnie parut satisfaite de