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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/625

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va être faite aux dernières demandes d’explications du cabinet de Saint-Pétersbourg. En ce moment même, la reine d’Angleterre, ouTant le parlement à Londres, sans s’expliquer particulièrement sur cette réponse, achève de mettre en pleine lumière la situation commune de la France et de la Grande-Bretagne, réunies par un même intérêt. Le point le plus significatif du discours de la reine Victoria, c’est la demande de subsides pour l’augmentation de l’armée de terre et de mer.

Si quelque chose peut démontrer de quel poids doit être dans cette crise redoutable l’union de la France et de l’Angleterre, c’est le soin avec lequel tout le monde a l’œil fixé sur les rapports des deux pays, sur la conduite respective de leurs gouvernemens, sur leurs tendances. Cette situation, aujourd’hui commune, de la France et de l’Angleterre a-t-elle toujours été dans les phases diverses des affaires d’Orient complètement identique ? N’y a-t-il même encore en ce moment aucune différence dans leurs relations avec le continent ? D’un côté, on s’est plu à dire que les communications du cabinet de Saint-Pétersbourg avec les deux gouvernemens n’avaient pas tout à fait le même caractère, et c’eût été peut-être une habileté trop visible pour être bien efficace. D’un autre côté, il y a peu de jours encore, une portion de la presse anglaise se soulevait contre le prince Albert en l’accusant d’intervenir dans la direction des affaires, et d’avoir, en certains momens, communiqué par des voies extra-diplomatiques avec quelques souverains allemands, peut-être avec l’empereur de Russie lui-même. Le nom du prince Albert est évidemment ici à la place de celui de la reine. Au point de vue intérieur, il est permis de croire que ces accusations n’auront aucunes conséquences bien graves, et qu’elles n’iront pas jusqu’au parlement, si elles ne sont même déjà oubliées. Au point de vue de la question extérieure actuelle, que peut-il y avoir de vrai dans ces assertions ? Il ne serait point certes extraordinaire que la reine eût fait savoir à quelques souverains du continent l’extrême répugnance qu’elle aurait à une guerre. Eût-elle fait adresser quelque appel à la sagesse et à la modération de l’empereur Nicolas lui-même, rien ne serait bien surprenant encore. Tant qu’on a espéré que le tsar finirait par céder et par accepter la paix, l’opinion publique n’a rien dit. Puis sont venues les preuves réitérées des intentions de la Russie, le désastre de Sinope a été connu, l’action de la politique russe s’est fait sentir en Perse et dans tout l’Orient : alors le cabinet de Londres a dû imprimer à sa politique un caractère plus décidé ; l’opinion publique s’est émue et s’est dessinée avec une netteté singulière. Le prince Albert s’est trouvé là et a payé sans nul doute pour les déceptions de tous. C’est ainsi que pourraient s’expliquer peut-être ces brusques reviremens de l’opinion en Angleterre. Qu’en résulte-t-il pour le moment ? C’est que si depuis l’origine de la question d’Orient la France a pu avoir en certaines occasions à presser l’Angleterre, il se peut qu’aujourd’hui elle ait à la modérer ; mais en définitive ce sont là des nuances qui ne portent nulle atteinte à l’action commune des deux nations. La meilleure preuve, c’est qu’en présence des communications récentes de Saint-Pétersbourg, la première pensée des deux gouvernemens a été de faire une réponse identique, et c’est ainsi qu’après avoir suivi au fond une même conduite dans les diverses périodes de cette grave question, après avoir marché pas à pas, ne cessant de pro-