mains de trois acheteurs fictifs, comment il les vendit enfin, toujours fictivement, à un négociant des États-Unis, avec la détermination de les faire voyager au besoin jusqu’en Amérique pour de là les faire revenir en France, entrer dans le détail de toutes ces manœuvres, que l’auteur du Mariage de Figaro dirigeait comme une intrigue de comédie très compliquée, serait trop long. Il était parvenu ainsi à maintenir les fusils à Tervère, et, quand le moment lui paraissait favorable, il suppliait à grands cris le comité de salut public de brusquer le dénoûment en donnant l’ordre au général Pichegru de pousser jusque-là et d’enlever les armes ; mais le comité, absorbé par mille préoccupations à la fois, le laissait se débattre au milieu des difficultés d’une affaire qui ne pouvait être décidée que par la force. La seule missive que Beaumarchais ait reçue à cette époque du comité de salut public est ce billet de Robert Lindet, en date du 5 pluviôse an II (26 janvier 1794), indiquant bien, ce me semble, dans sa concision précipitée, l’état de fièvre qui dévorait ce terrible comité, aux prises avec l’Europe entière.
« Il faut de la célérité, écrit Lindet ; il ne faut pas attendre l’accomplissement de tous les événemens. Si l’on diffère trop longtemps, le service ne sera pas apprécié. Il faut de grands services, il les faut prompts. On ne calcule pas les difficultés, on ne considère que les résultats et les succès. »
Tandis que Beaumarchais travaillait de son mieux à exécuter les ordres du comité de salut public, non-seulement le comité l’abandonnait à lui-même, mais, avec une insouciance qui est encore un signe du temps, il laissait porter son agent sur la liste des émigrés ; il laissait saisir ses biens, retenir les arrérages des 745,000 fr. de contrats déposés par lui et emprisonner sa famille. Le département de Paris, ignorant les causes de l’absence de Beaumarchais et trouvant ses propriétés de bonne prise, avait le premier jugé à propos de le déclarer émigré, de faire apposer de nouveau les scellés sur ses immeubles et de toucher tous ses revenus. Sur la réclamation de Mme de Beaumarchais, le comité de salut public avait rendu, en date du 25 frimaire an II (décembre 1793), une décision par laquelle il déclare que « le citoyen Beaumarchais remplit une mission secrète, et arrête en conséquence qu’il ne sera pas traité comme émigré. (Signé au registre : Carnot, Billaud-Varennes, Robert Lindet, Robespierre, Barrère, Saint-Just, Couthon, C.-A. Prieur). » Sur cette décision, les scellés avaient été levés. Trois mois après, le 24 ventôse an II, au milieu du conflit anarchique des pouvoirs à cette époque, le comité de sûreté générale avait pris la liberté d’annuler l’arrêté du comité de salut public, de déclarer encore une fois Beaumarchais émigré, et le département de Paris avait fait derechef apposer les